Le contentieux de la récupération des aides

devant le juge national

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 Avec le développement de la crise économique à partir des années 70, les Etats ont eu tendance à octroyer des aides pour soutenir des entreprises ou des secteurs d’activité. On considère que lorsque l'Etat accorde une aide à une entreprise, il "modifie les conditions de la concurrence, puisqu'il rompt l'égalité des chances des entreprises en compétition. Mais d'autre part, les aides d'Etat peuvent être, au moins temporairement indispensables à la concurrence, au développement de la capacité concurrentielle de certains secteurs, à la lutte contre le chômage et au développement régional équilibré." ( Droit commercial européen. B. Goldman, A. Lyon-Caen, L. Vogel. Précis Dalloz, 5ème édition, 1994 p,770). La réglementation communautaire des aides d'Etat va s'efforcer de concilier ces deux exigences fondamentales.

  Au cours des années 90, le niveau global des aides d’Etat était d’environ 100 milliards d’euros par an dans la Communauté. Depuis 1999, il est passé sous la barre des 90 milliards d’euros par an. ( voir le neuvième rapport de la commission sur les aides d’Etat du 18 juillet 2001 )

 

 Or on sait que le traité de Rome ne permet pas le libre octroi d’aides à l’économie. Ses articles 87 et 88, qui font partie intégrante du chapitre sur la politique de concurrence, instituent un principe d’interdiction des aides d’Etat, principe assorti de possibilités de dérogations sous conditions. Ce principe d’interdiction s’accompagne d’une obligation de restitution au cas où l’aide aurait était octroyée en violation du traité. Pourquoi une telle obligation de remboursement ?

 

Les fondements de l’obligation de récupération

 

Deux fondements consolident cette obligation : des fondements juridiques et des fondements économiques.

 A l’origine, les fondements juridiques étaient jurisprudentiels. En effet dans un arrêt du 12 juillet 1973, Commission contre Allemagne, la Cour a considéré pour la première fois qu'il résultait de l'article 88 paragraphe 2 du traité que la Commission pouvait imposer la restitution dans le cas d'une aide illégale et incompatible. C’est la Commission qui est compétente pour décider que l'État doit supprimer ou modifier une aide incompatible, selon le texte de l'article 88 paragraphe 2 : cette suppression ou modification, pour avoir un effet utile, peut comporter l'obligation faite à l'État membre d'exiger le remboursement de l'aide octroyée en violation du traité. À la suite de cet arrêt, la Commission a déclaré, dans une communication de 1983, qu'elle demanderait systématiquement la restitution dans le contexte des aides illégales et incompatibles. Progressivement, la Commission s'est mise à demander systématiquement le remboursement.

 L'achèvement de cette tendance se trouve consacré dans le règlement de procédure du 22 mars 1999 qui supprime tout pouvoir discrétionnaire de la Commission en faisant de l'exigence de remboursement la conséquence normale de l'illégalité et de l'incompatibilité d'une aide. Cette conséquence normale est cependant atténuée par deux dispositions du règlement :

 La première atténuation est introduite par l'article 14, qui prévoit que la Commission renonce à demander le remboursement si celui-ci va à l'encontre d'un principe fondamental du droit communautaire. La Commission, dans sa pratique depuis 1999, s'est appuyée, dans un certain nombre de décisions, sur le respect de principes généraux du droit communautaire, et en particulier le principe de confiance légitime des États membres et des opérateurs, pour ne pas exiger le remboursement d'aides illégales et incompatibles. Elle l'a fait par exemple lorsque son comportement pouvait laisser présumer qu'elle avait connaissance depuis longtemps de l'aide en question, et que cette connaissance de sa part pouvait fonder une confiance légitime de la part de l'État membre qui avait cru pouvoir octroyer des aides dans la légalité.

 La deuxième atténuation à cette obligation de remboursement découle de l'article 15 du règlement, qui prévoit une prescription concernant le remboursement des aides. S'il s'est écoulé plus de 10 ans entre l'octroi de l'aide et la première intervention de la Commission à l'égard de cette aide, alors le remboursement ne pourra pas être demandé.

 Le fondement économique qui sous-tend la restitution des aides illégales et incompatibles est la volonté de  restaurer une concurrence loyale et effective. D'après le traité, une aide est par essence constitutive d'une distorsion de concurrence, et ce n'est que pour autant qu'elle permette d'atteindre un certain nombre d'objectifs de politique économique, examinés par la Commission dans un contexte communautaire, que cette distorsion de concurrence peut être compensée. Par conséquent si une aide s'avère illégale et incompatible, par définition, elle a engendré une distorsion de concurrence sans justifications suffisantes pour la compenser.

 Cette distorsion de concurrence doit être supprimée a posteriori en revenant à la situation antérieure en demandant le remboursement de l'aide. Cette notion de remboursement n'a en aucune manière une signification de sanction. La Cour est claire à cet égard dans son arrêt Boussac du 14 février 1990 où elle indique que la seule illégalité de l'aide ne peut conduire à un remboursement.

 Mais le fait que le contrôle de la compatibilité des aides étatiques au regard du droit communautaire relève de la responsabilité de la Commission n'exclut pas toute compétence des Etats membres en la matière. Compte tenu de l'effet direct de la dernière phrase de l'article 88 §3, les juridictions nationales sont amenées " à interpréter et à appliquer la notion d'aide visée à l'article 92 (nouvel art. 87), en vue de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la procédure de contrôle de l'article 93 § 3 (nouvel art. 88 § 3) devait ou non y être soumise " (C.J.C.E., 22 mars 1977, Steinike & Weinlig c. Allemagne. 78/76, Rec., 1977, p. 595, point 14). Interrogée par le Conseil d'Etat français sur la portée juridique de la dernière phrase de l'article 88 §3 C.E, la Cour répondit que cette disposition devait " être interprétée en ce sens qu'elle impose aux autorités des Etats membres une obligation dont la méconnaissance affecte la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d'aides " (C.J.C.E., 21 novembre 1991, "Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon c/. France". C-354/90, Rec. 1991, p. I-5505, Dispositif de l'arrêt). De même, la Cour a considéré que l'ouverture par la Commission d'une procédure au titre de l'article 88 C.E. n'oblige pas une juridiction nationale à se déclarer incompétente ou à surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Commission (C.J.C.E., 11 juillet 1996. C 39/94. Syndicat français de l'Express International (S.F.E.I.) e.a./ La Poste e.a . Rec. I p. 3547) .

 Il n'en reste pas moins que l'Etat doit réparer les effets de son comportement illicite, en procédant lui-même à la récupération des aides illégalement versées. A cet égard, le juge communautaire a précisé que c'est aux juridictions nationales qu'il appartient de trancher les litiges relatifs à la récupération de montants indûment versés en vertu du droit communautaire. (C.J.C.E., 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor/ R.F.A., point 19 de l'arrêt rendu. Rec p. 2665).

C’est encore la CJCE qui a précisé le régime des aides déclarées incompatibles en imposant l’obligation de récupération des aides illégales alors que le traité visait leur suppression. Pour la Cour « la suppression de l’aide illégale par voie de récupération » apparaît donc comme la conséquence logique de la constatation de son illégalité (CJCE, 21 mars 1990, Belgique c/ Commission). La CJCE avait déjà ouvert cette voie dans un arrêt Commission c/ Allemagne du 12 juillet 1973 confirmée par la Commission dans une communication du 24/11/1983 puis dans un règlement du 22/03/1999

Nous verrons dans une première partie que le juge national occupe une place prépondérante voire exclusive dans le contentieux de la récupération des aides d’Etat [I]. Enfin, dans une deuxième partie, nous verrons que loin d’être un mythe, l’obligation de récupération des aides qui pèse sur les Etats Membres se heurte encore à de sérieux obstacles [II]. 

 

I. Le rôle essentiel du juge national dans la récupération des aides d’état

 

 

A. L’intervention du juge national pour la récupération des aides illégales

 

 

Il s’agira dans cette situation le plus souvent d’un contentieux visant les aides non notifiées. En effet, une juridiction nationale à laquelle il est demandé d’ordonner la restitution d’aides doit faire droit à cette demande si elle constate que les aides non pas été notifiées à la Commission. Certains auteurs parlent de l’application d’une primauté de deuxième génération, alors que d’autres ne font relever que la conséquence de l’efficacité et de la pleine effectivité du droit communautaire pour justifier le pouvoir d’ordonner la récupération de l’aide qui revient donc au juge national.

 

Le juge national se voit ainsi investi du pouvoir de prononcer la restitution des aides illégalement allouées, pouvoir renforcé par la possibilité de prononcer des mesures conservatoires (cf. CJCE, 11 juillet 1996, SFEI c/ La Poste)

 

Pour l’exercice de sa mission le juge national à l’image du juge communautaire est amené à apprécier la réalisation de deux conditions cumulatives :

 

 

 

 

 

 

1] La qualification de l’aide préalable à la mise en œuvre de la récupération par le juge national

 

Pour recevoir une telle qualification la mesure en question doit consister en :

. Un avantage (par exemple : une subvention, un allègement de charges fiscales ou sociales d’une façon générale de tout avantage qui allège les charge qui grève normalement le budget d’une entreprise)

. Cet avantage doit avoir un effet discriminant (consenti au bénéfice de certaines entreprises)

. Celui-ci doit avoir octroyé par l’Etat (collectivités ou autres organismes sous tutelle de l’Etat) ou sur ressource d’Etat (on entend par là une incidence sur le budget public)

. Enfin, cette mesure doit fausser ou être susceptible de fausser la concurrence dans le cadre des échanges intra-communautaires.

 

Notons encore, que cette aide doit être nouvelle. Ainsi, seront exclues les aides existantes, c'est-à-dire antérieures à l’entrée en vigueur du Traité, ou encore les aides ayant fait l’objet d’une notification mais restées sans réponses ou ayant reçue une réponse au-delà du délai de deux mois. Enfin, sont exclues les aides prescrites (prescription acquise après un délai de 10ans).

 

Comme nous l’avons évoqué précédemment, le juge national s’il doit décliner sa compétence au profit des autorités communautaires s’agissant de l’appréciation de la compatibilité de l’aide (CJCE,19 juin 1973, Capolongo c/ Maya ; Steinike et Weinling précitée, CJCE, 16 mai 2000, Ladbnooke), il n’hésite en revanche pas à se reconnaître compétent pour qualifier l’aide. Il peut aussi se tourner vers le juge communautaire par la voie d’une question préjudicielle pour se prononcer sur la qualification de l’aide. Toutefois, la réponse que la Cour est amenée à donner à la juridiction de renvoi ne préjuge pas de leur compatibilité avec le Traité (CJCE, 8 nov. 2001, aff. C-143/99, Adrien-Wien Pipeline).

 

Sur la compétence du juge national pour la qualification de l’avantage en aide Etat :

CE, 23 novembre 2001, MINEFI c/ SA Editions Jacques Glénat

Il entre dans la compétence du juge national de se demander si une mesure constitue une aide au sens de l’article 87 TCE. Il lui appartient donc de vérifier si tous les critères de la notion d’aide sont satisfaits (origine des fonds, transfert de charges financières, sélectivité de la mesure, affectation du commerce intra-communautaire)

V. CJCE, 22 mars 1977, Steinike et Weinlig c/ RFA: Rec. CJCE, p. 595.

 

 

On l’a vu, l’existence d’une aide est une condition nécessaire cependant cette condition est insuffisante. En effet, encore faut-il que cette aide ait été attribuée en violation du droit communautaire, précisément en méconnaissance de l’obligation de notification auprès des autorités communautaires.

 

 

2] La violation du droit communautaire

 

Le juge sanctionne cette violation, à titre d’illustration on peut citer quelques exemples de jp :

 

 

CE 6 novembre 1998 CNIH

Les autorités nationales, ainsi que le prévoit la dernière phrase du § 3 de l’article 93 du traité , ne peuvent pas mettre à exécution les projets tendant à instituer ou modifier les aides financées par le CNIH avec le produit de taxes parafiscales sans les avoir notifiés préalablement à la Commission, alors même que ces aides seraient financées uniquement par des taxes frappant des transactions portant sur des produits nationaux. Or la mise à exécution sans notification préalable des décrets à l’autorité Communautaire est sanctionnée par le juge qui impose la restitution ab initio

TA Dijon 25 mai 2000 SA Nevers Viandes

Avantages créés = aide au sens de l’article 92 du traité, qui affecte nécessairement les échanges de produits carnés entre les EM de la Communauté. Ce régime d’aide ‘ayant pas été notifié à la Commission, comme il aurait du l’être conformément à l’article 93§3, la société requérante est fondée à demander la restitution des taxes litigieuses.

>> Même solution que TA Melun 11 mars 99, TA Nantes 15 septembre 2000 Sté Comptoirs modernes économiques de Normandie

TA Strasbourg 24 juillet 2003 Société Brit Air c/ CCI de Strasbourg et du Bas Rhin

Décision jugées illégales car la commission de Bruxelles n’avait pas été prévenue = restitution

>> CAA Nancy 18 décembre 2003 CCI de Strasbourg et du Bas Rhin c/ Société Brit Air

Confirme que les aides financières accordées à Ryanair sont des aides d’Etat illégales

 

 

Le juge sanctionne la violation mais il protège aussi le bénéficiaire d’un avantage lorsqu’il ne relève pas l’existence d’une aide

CE 5 octobre 98 Union des industries chimiques, pas de création d’aide au sens de l’article 92 et s. TCEE, l’Etat français n’est donc pas tenu par l’artcile93§3 d’informer la Commission européenne du projet du décret (prévoyant taxe fiscale sur les huiles de base afin de financer des aides au ramassage des huiles usagées et à leur traitement ou élimination)

Le CE accepte de se prononcer sans renvoi préjudiciel à la CJCE sur la question de savoir si les aides prévues par le décret sont des aides au sens des articles 92 et suivants car cette question a été tranchée dans un sens négatif par l’arrêt de la CJCE 7 février 85  Association de défense des brûleurs d’huile usagées.

 

Le contentieux des aides non notifiées

 

Le risque de voir une aide compatible déclarée illégale est important en cas d’absence de notification. Le problème étant de définir ce qui relève ou non d’une mesure devant être notifiée. Finalement, on peut se demander si toute mesure comportant des dispositions financières ne devraient pas être soumises à notification ne serait-ce qu’à titre préventif. (c’est l’idée que développe Stéphane LAGET dans l’AJDA du 16 février 2004 p. 298 et s.) L’auteur rappelle ainsi que pour la CJCE, 22 juin 2000, aff. C-332/98, République française c/ Commission, les EM doivent notifier les mesures même lorsqu’ils doutent qu’elles soient des aides d’Etats

Pourtant, une difficulté peut notamment survenir dans l’hypothèse d’aides susceptibles d’être considérées comme compatible avec les exigences du Traité (ex. jp Altmark, GEMO etc.), hypothèses dans lesquelles l’incompatibilité des aides seraient susceptible d’être rachetée par l’existence d’une compensation financière représentant la contrepartie d’obligations de service public imposées par les EM. D’abord, dans une telle hypothèse le juge national ne sait pas toujours comment se positionner, ensuite lorsqu’il s’est prononcé sur l’illégalité de la mesure du fait du non respect de l’obligation de notification se pose alors le point de savoir si la décision par laquelle la Commission a conclut à l’absence d’aide d’Etat est susceptible de régulariser a posteriori la première violation procédurale. Il semble cependant que le juge national n’ait pas d’autre choix que d’ordonner la récupération de l’aide illégalement octroyée (s’agissant des suites de l’affaire GEMO, c’est dans ce sens que la CAA de Lyon semble s’orienter après les décision du TA de Dijon du 25 mai 2000 et la réponse formulée par la CJCE dans le cadre de la question préjudicielle CJCE, 20 novembre 2003 C. C-126/01, GEMO)

 

 

Une action fondée sur la théorie de la concurrence déloyale (concurrent évincé critique le prix anormalement bas pratiqué par le candidat retenu pour l’attribution du marché pratique rendue possible grâce au bénéfice d’une aide étatique) = la cass com ne suit pas cette position mais accueil le recours (Cass. Com., 15 juin 1999)

 

B. L’intervention subsidiaire du juge national pour la récupération des aides incompatibles avec le Traité

 

 

Dans l’hypothèse d’une aide déclarée incompatible avec le traité, le juge national intervient pour récupérer l’aide indue, mais cette fois comme auxiliaire du juge communautaire. Là encore, cette intervention du juge national est dominée par le principe d’autonomie procédurale.

Ainsi, lorsque la Commission déclare une aide illégale, elle prend une décision de récupération (art. 14§1 du règl. 659/1999). Cette récupération s’opère alors sans délai, conformément aux procédures du droit national de l’Etat membre concerné, pour autant que les procédures propres à chaque EM permettent l’exécution immédiate et effective de la décision.

Pour assurer la plus grande efficacité dans l’exécution de la décision de récupération, les tribunaux nationaux, et les Etats membres concernés sont tenus de prendre toutes les mesures nécessaires prévues dans leurs systèmes juridiques respectifs, aux besoins toutes mesures conservatoires utiles (art. 14§3 du règlement de 1999 et communication de la Commission 1983 C.318). En outre, dès que la Commission a pris une décision, la juridiction nationale est liée par elle (CJCE, 9 mars 1994, aff. C-188/92, TWD I)

 

 

Ainsi, lorsque la Commission se sera prononcée dans le sens d’une incompatibilité de l’aide avec le marché commun, décision d’effet direct, il appartiendra alors à l’état de récupérer le montant de l’aide, cette obligation pourra s’analyser comme une obligation de résultat. Pour satisfaire cette exigence, l’Etat devra prendre un acte qui prendra le plus souvent la forme d’un ordre de restitution (TA de Paris, 16 février 1994, Société Augéfi). Notons, que l’Etat ne pourra s’abstenir d’agir dans la mesure ou l’absence d’adoption d’un ordre de reversement est constitutive d’une illégalité (voie du REP ouvert aux entreprises ayant intérêt à agir avec possibilité pour le juge d’adresser des injonctions avec astreinte)

 

La responsabilité de l’Etat défaillant pourra encore être engagé du fait du préjudice résultant de la violation du droit communautaire (CJCE, 19 nov 1991, Francovitch et Bonifaci)

Toutefois, pour mettre en œuvre la reponsabilité de l’Etat la violation caractérisée du droit communautaire devra être démontrée par le requérant (CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame). Cette exigence est également requise devant le CE (28 février 1992, Sté Arizona Tobacco Products et Philipp Morris France)

 

 

 

II.  Les obstacles à la mise en œuvre de la procédure de récupération

 

S’il est louable de poser un principe d’interdiction des aides ayant pour conséquence la restitution, encore faut il que dans les faits, cette récupération ait effectivement lieu, pour ne pas fausser le jeu d’une concurrence loyale. Or il est rare que la restitution de l’aide perçue ait lieu, et ce à cause de nombreux obstacles juridiques ou pratiques.

 

A. Les moyens invoqués par les Etats pour se soustraire à leur obligation de récupération

 

La récupération des aides d’état n’est donc pas un mythe (en écho à la formule de Michaël KARPENSCHIF : « la mythe actuel de la répétition des aides indues »), la Commission peut adresser des injonctions aux Etats membres et eux-mêmes se dotent d’un arsenal procédural pour assurer la plus grande efficience dans l’application des décisions de récupération (par exemple en France en matière de contentieux administratif, depuis la loi du 8 février1995 extension des pouvoirs d’injonction et d’astreinte du juge administratif). Toutefois, cette procédure de récupération n’a pas encore atteint un niveau optimal d’efficacité de même qu’il est difficile de prétendre qu’elle assure le rétablissement de la situation concurrentielle préexistante.

 

Ainsi, il existe de bonnes raisons d’entretenir de tels doutes notamment si l’on s’arrête un instant sur la liste non exhaustive et récurrente des justifications apportées par les Etats aux fins de soustraire à leurs obligations, on peut évoquer au nombre de ces justifications :

 

-         les conséquences économiques et sociales désastreuses que pourraient entraîner la restitution des aides = notamment le risque de faillite de l’entreprise bénéficiaire et de conflits sociaux. Cependant, le juge rejette cette argumentation considérant que cette argumentation « aboutirait à rendre sans objet les règles communautaires ». (CJCE, 1986, Commission c/ Belgique)

 

-         l’impossibilité ou les difficultés tenant à l’organisation administrative ou constitutionnelle particulière à certains Etats membres Ex ; Italie face à l’inertie de la Sicile, ou le passage de cette compétence de l’Etat à la Région en Belgique au moment de la Régionalisation (CJCE, 21 février 1990, Commission c/ Belgique) ; Rejet de cette argumentation par la cour au motif « qu’il est de jurisprudence constante qu’un Etat membre ne serait exciper de dispositions pratiques ou de situations de son ordre interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit communautaire », 21 février 1990, Commission c/ Belgique également)

 

-         la règle de « l’intangibilité du capital social » prévue par le droit belge (CJCE, 1986, Commission c/ Belgique) et autres règles privant d’effet d’utile le droit communautaire. En effet, la Cour considère « qu’en principe, la récupération d’une aide illégalement accordée doit avoir lieu selon les dispositions de procédures pertinentes du droit national, sous réserve, toutefois que ces dispositions soient appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire » (notamment, CJCE, 2 février 1989, Commission c/ RFA, CJCE, 21 mars 1990, Royaume-Uni c/ Commission…)

 

-         l’impossibilité d’identification des bénéficiaires de l’aide (CJCE, 21 mars 1991, Italie c/ Commission)

 

-         les difficultés économiques internes, la contestation de l’utilité économique de la récupération, etc.

 

Autant d’artifices visant à priver « d’effet utile » les décisions prescrivant la récupération mais qui ne sauraient prospérer du fait de la vigilance du juge communautaire.

 

 

B. Le problème de la répartition des compétences au niveau interne

 

 Les aides d’Etat sont le plus souvent octroyées par une personne publique, généralement par le biais d’un acte administratif. Cela peut être un décret ou même une loi. Le contentieux de la récupération est donc le plus souvent un contentieux devant le juge administratif. Mais l’existence de deux ordres de juridictions en France vient quelque peu compliquer cette présentation. En effet, les juridictions judiciaires peuvent être compétentes lorsque l’aide n’est pas octroyée par un acte administratif mais résulte de simples pratiques ou agissements. Ce problème de la détermination de la juridiction compétente va rallonger d’autant les délais  des contentieux concernant soit la qualification de l’aide soit sa restitution.

 

 L’importante affaire concernant La Poste et sa filiale Chronopost, société de droit privé, fournit un bon exemple de cette difficulté. La Poste consentait à sa filiale des avantages matériels, notamment une assistance logistique et matérielle. Les concurrents de Chronopost, comme l’UFEX ou DHL estimaient que cette aide, sans contrepartie sérieuse était une aide d’Etat qui n’avait pas fait l’objet d’une notification, donc une aide illégale. Ils ont donc saisit le tribunal de commerce de Paris en juin 1993 pour demander le remboursement de l’aide, d’un montant supérieur à 2 millions de francs.  Le préfet de la région d’Ile-de-France déposa un déclinatoire de compétence au motif qu’étaient en jeu des deniers publics.  Le tribunal de commerce le rejeta. Le conflit fut donc élevé et le tribunal des conflits a du trancher cette question dans son arrêt du 19 janvier 1998, UFEX contre La Poste celui-ci décida que l’ordre judiciaire était compétant puisque dans le cadre de ses relations avec Chronopost , La Poste ne fait pas usage de ses prérogatives de puissance publique. Finalement, on est revenu devant le juge judiciaire. Mais presque 5 ans se sont écoulés avant qu’une question de compétence soit tranchée. Or pendant cette période, Chronopost a pu continuer à bénéficier de l’assistance de La Poste. 

 

 En permettant aux entreprises intéressées de porter le contentieux de la récupération devant les juridictions internes, le risque d’enlisement des affaires est fort. Les entreprises concernées par un ordre de restitution usent de toutes les voies de recours possibles. On peut citer l’exemple d’Alcan, qui, 12 ans après avoir été tenu de restituer une aide n’avait toujours pas exécuter son obligation.

 

 

 

C. Le problème des entreprises en difficulté

 

Les aides octroyées par l’Etat le sont le plus souvent a des entreprises ou des secteurs en difficulté comme le textile ou la métallurgie. ( exemple du plan Borotra en France ou Maribel I et II en Belgique ). Or la restitution des aides soulève des questions spécifiques lorsque le bénéficiaire de l’aide se trouve être une entreprise en difficulté. En principe, les difficultés de l’entreprise n’affectent en rien l’obligation de restitution des aides incompatibles. Mais il existe un obstacle pratique rendant toute restitution impossible. En effet, comment obtenir la restitution des aides indues si le bénéficiaires n’est pas financièrement en mesure des les rembourser ou à tout simplement cesser son activité ?

On peut citer ici une décision de la Commission du 15 juillet 1987 ordonnant la restitution de 338, 5 millions de francs illégalement accordés à l’entreprise Boussac Saint-frère et qui, après que l’affaire ait été portée devant le juge administratif ( TA paris, 16 février 1994, société Augéfi ) est devenue effective alors que l’entreprise avait cessée toute activité.

Se pose ainsi la question de savoir si le repreneur d’une entreprise en difficulté est tenu de rembourser. Il faut alors distinguer si la cession de l’entreprise est réalisée après liquidation ou sans liquidation. Sans liquidation, le repreneur se voit tenu de rembourser l’aide de l’entreprise rachetée. Mais lorsque la liquidation a eu lieu, celle-ci entraîne l’extinction des créances. Les juridictions se contentent alors de réclamer la restitution à l’entreprise en faillite, dans le cadre des possibilités offertes par l’éventuel boni de liquidation. Autant dire que l’aide n’est alors jamais remboursée.

 

 

D. Le problème des actes créateurs de droit

 

On sait que la Cour a admis que la récupération de l’aide devait s’effectue « selon les dispositions pertinentes du droit national. » Or certaines règles du droit français empêche à priori cette récupération. On peut penser aux  règles concernant le retrait des actes administratifs créateurs de droit. En effet, l’Etat qui a versé une aide par voie de décision unilatérale va se trouver confronté au problème du retrait de son acte, préalable indispensable à la récupération des sommes. Cet acte est créateur d droits et le droit administratif ne permet pas son retrait dans n’importe quelle conditions. Mais on peut aussi penser au principe de la force obligatoire du contrat qui empêcherait qu’une aide instituée par contrat puisse être remboursée.

Ce type de difficulté existe aussi en Allemagne, ou le principe de sécurité juridique et le concept de vetrauenschultz encadre fortement le retrait des actes créateurs de droit.

 

Mais ces arguments peuvent être écartés puisque selon la CJCE, les dispositions pertinentes du droit national ne doivent pas rendre impossible la récupération exigée par le droit communautaire. Cette formule rend donc inopposable à la récupération de l’aide les principes français en matière de retraite des actes unilatéraux ou de force obligatoire du contrat.

 

L’acte juridique par lequel l’aide a été octroyée peut donc être déclaré nul par le juge national car pris en violation du droit communautaire. L’annulation étant rétroactive, le bénéficiaire est ainsi normalement tenu de rembourser ce qu’il a touché, selon le principe de la répétition de l’indu.

 

Concrètement, l’Etat membre qui doit récupérer l’aide peut s’estimer créancier du bénéficiaire de l’aide sur la seule base de la décision de la Commission ou d’une juridiction nationale. La décision de la commission, bien qu’adressée à l’Etat membre concerné est opposable au bénéficiaire de l’aide et peut justifier l’émission par l’Etat d’un état exécutoire à l’encontre de l’entreprise, sans que l’Etat membre ne soit obligé préalablement de retirer l’acte octroyant l’aide.

L’acte exécutoire est un titre émis par le ministre au nom de l’Etat qui rend la créance liquide et exigible. Cette procédure de l’état exécutoire est un privilège de l’administration qui n’a pas a passer devant un juge pour obtenir le paiement des sommes réclamées. C’est un aspect de privilège du préalable de l’administration. Cette procédure est prévue par un décret du 19 décembre 1962.

L’entreprise peut faire opposition au recouvrement de la créance étatique, opposition qui s’effectue comme en matière de contributions directes pour des motifs tirés de l’existence, de l’éxigibilté ou de la quantité de la créance. C’est ce qui s’est passé dans l’arrêt du tribunal administratif de Paris du 16 février 1994, société Augéfi. La société Augéfi, venant aux droits de la société Boussac contestait la validité de l’état exécutoire, mais le tribunal rejeta ces arguments.

 

 

E. Le rôle du concurrent de l’entreprise bénéficiaire d’une aide.

 

C’est le concurrent de l’entreprise percevant une aide illégale qui a en définitive le plus intérêt à ce que l’aide soit remboursée.

Il va donc tenter de paralyser le versement de cette aide. Malheureusement, les procédures d’urgences devant les juridictions nationales ne lui seront pas très utiles. En effet, le sursis à exécution n’a guère de chance de prospérer car c’est souvent par le versement de l’aide à l’entreprise que ses concurrents en prennent connaissance. Le sursis ne pourra donc pas être accordé puisque l’acte aura déjà été exécuté.

Concernant le fond, le concurrent du bénéficiaire d’une aide illégale dispose devant le juge administratif du recours pour excès de pouvoir qui lui permet de solliciter l’annulation de la décision d’octroi de l’aide et du recours de pleine juridiction qui lui permettra d’obtenir des dommages et intérêts.

Les insuffisances du REP ont été passablement corrigés par la loi du 8 février 1995. l’annulation de la décision peut maintenant être accompagnée d’injonction faites à l’administration de récupérer l’aide indue. Ainsi le concurrent pourra solliciter la récupération de l’aide, éventuellement sous astreintes.

Enfin, en droit français, une action en concurrence déloyale pourrait légitiment être envisagée à l’encontre de l’entreprise fautive. En effet, il existe un courant doctrinal et jurisprudentiel qui considère que l’acceptation par l’entreprise d’une aide illégale constitue une faute puisque l’entreprise va se placer dans une situation anormalement favorable vis-à-vis des concurrents qui eux respectent les réglementations en vigueur. Cette faute va pouvoir être sanctionnée.

Enfin, le concurrent peut rechercher la responsabilité de l’Etat.

 

 

 

En conclusion, on voit que la récupération des aides n’est pas aisée. D’ailleurs M. Vogel suggérait d’accorder des dommages et intérêts aux concurrents du bénéficiaire de l’aide plutôt que de procéder à la restitution. Plutôt que de retire à l’un, il faut donner à tous. Cette idée originale a toutefois deux inconvénients majeurs : la détermination de tous les concurrents est délicate et cette solution coûterait extrèment chère à l’Etat.


 

Bibliographie

 

 

 

Ouvrages

 

Lamy Droit Economique 2004 – Contrôle et sanctions en matière d’aide d’Etat

§ 2357 Récupération de l’aide illégale p.847-848

 

Memento Pratique - Francis Lefebvre, Union Européenne 2004-2005

 

Jean-Michel COMMUNIER, Le droit communautaire des aides d’Etat, LGDJ

(Le contentieux des aides d’Etat – Le contentieux des aides devant le juge national

p.155 à 161)

 

Jean-Yves CHEROT, Les Aides d’Etat dans les Communautés Européennes, Economica

 

Jean-Marc FAVRET, Les Influences réciproques du droit communautaire et du droit national de la responsabilité publique, Edition PEDONE, 2000

 

Articles

 

Les Petites Affiches, 1er août 2000, n°152, p.11, Marcel SOUSSE, La situation du concurrent du bénéficiaire d’une aide d’état devant les juridictions nationales

 

Recueil DALLOZ, 1998, 3° CAHIER, Chronique, Maurice-Christian BERGERES, Les juridictions nationales et les aides d’Etat contraires au droit communautaire

 

Petites Affiches, 20 mai 2003, n°100 p.3, Le rôle conféré par le droit communautaire aux droits nationaux des Etats membres.

 

RAE, 1998, p. 125 à 135, Le contrôle des aides publiques

 

RMCUE, 1993, n°365 p. 145 à 149

 

RTDE, Juillet-Septembre 2001 n°3, p.551 et s., Michaël KARPENSCHIF, La récupération des nationales versées en violation du droit communautaire à l’aune du règlement n°659/1999 : du mythe à la réalité ?

 

Revue trimestrielle de droit commerciale et de droit économique de 2002

n°2 p400, Sylvaine POILLOT-PERUZETTO

 

Revue de jurisprudence commerciale, n°6 p251 de Th. FOUQUET, L'obligation de récupération des aides d'état incompatibles

 

Une note de Messieurs BAZEX et BLAZY Droit Administratif éditions Jurisclasseur 2001 note n°21 p16 (revue de février 2002)

 

Arnaud de BAECQUE au Cahier Juridique de l'électricité et du gaz, 2000, n°562 p.39, Droit communautaire des aides d'état

 

AJDA de 2000 n°5 p371, note de Jean-Marc BEZORGUEY

 

Les pouvoirs du juge national et les « aides » non notifiées à la Commission

 

Décisions

 

TA de Paris, 16 février 1994, Société Augéfi c/ Société « Sèvres participations et gestion »

TC, 19 janvier 1998, UFEX c/ La Poste