Avec le développement de la crise économique à
partir des années 70, les Etats ont eu tendance à octroyer des aides pour
soutenir des entreprises ou des secteurs d’activité. On considère que lorsque
l'Etat accorde une aide à une entreprise, il "modifie les conditions de
la concurrence, puisqu'il rompt l'égalité des chances des entreprises en
compétition. Mais d'autre part, les aides d'Etat peuvent être, au moins
temporairement indispensables à la concurrence, au développement de la capacité
concurrentielle de certains secteurs, à la lutte contre le chômage et au
développement régional équilibré." ( Droit
commercial européen. B. Goldman, A. Lyon-Caen, L. Vogel. Précis
Dalloz, 5ème édition, 1994 p,770). La
réglementation communautaire des aides d'Etat va s'efforcer de concilier ces
deux exigences fondamentales.
Au cours des années 90, le niveau global des aides d’Etat était d’environ 100 milliards d’euros par an dans la Communauté. Depuis 1999, il est passé sous la barre des 90 milliards d’euros par an. ( voir le neuvième rapport de la commission sur les aides d’Etat du 18 juillet 2001 )
Or on sait que le traité de Rome ne permet pas le libre octroi d’aides à l’économie. Ses articles 87 et 88, qui font partie intégrante du chapitre sur la politique de concurrence, instituent un principe d’interdiction des aides d’Etat, principe assorti de possibilités de dérogations sous conditions. Ce principe d’interdiction s’accompagne d’une obligation de restitution au cas où l’aide aurait était octroyée en violation du traité. Pourquoi une telle obligation de remboursement ?
Les fondements de l’obligation de récupération
Deux fondements consolident cette
obligation : des fondements juridiques et des fondements économiques.
A l’origine, les
fondements juridiques étaient jurisprudentiels. En effet dans un arrêt du 12 juillet 1973, Commission
contre Allemagne, la Cour a considéré pour la première fois qu'il résultait de
l'article 88 paragraphe 2 du traité que la Commission pouvait imposer la
restitution dans le cas d'une aide illégale et incompatible. C’est la
Commission qui est compétente pour décider que l'État doit supprimer ou modifier
une aide incompatible, selon le texte de l'article 88 paragraphe 2 : cette
suppression ou modification, pour avoir un effet utile, peut comporter
l'obligation faite à l'État membre d'exiger le remboursement de l'aide octroyée
en violation du traité. À la suite de cet arrêt, la Commission a déclaré, dans
une communication de 1983, qu'elle demanderait systématiquement la restitution
dans le contexte des aides illégales et incompatibles. Progressivement, la
Commission s'est mise à demander systématiquement le remboursement.
L'achèvement de cette tendance se trouve
consacré dans le règlement de procédure du 22 mars 1999 qui supprime tout
pouvoir discrétionnaire de la Commission en faisant de l'exigence de
remboursement la conséquence normale de l'illégalité et de l'incompatibilité
d'une aide. Cette conséquence normale est cependant atténuée par deux
dispositions du règlement :
La première atténuation est introduite par l'article 14, qui prévoit que la Commission renonce à demander le remboursement si celui-ci va à l'encontre d'un principe fondamental du droit communautaire. La Commission, dans sa pratique depuis 1999, s'est appuyée, dans un certain nombre de décisions, sur le respect de principes généraux du droit communautaire, et en particulier le principe de confiance légitime des États membres et des opérateurs, pour ne pas exiger le remboursement d'aides illégales et incompatibles. Elle l'a fait par exemple lorsque son comportement pouvait laisser présumer qu'elle avait connaissance depuis longtemps de l'aide en question, et que cette connaissance de sa part pouvait fonder une confiance légitime de la part de l'État membre qui avait cru pouvoir octroyer des aides dans la légalité.
La deuxième atténuation à cette obligation de remboursement découle de l'article 15 du règlement, qui prévoit une prescription concernant le remboursement des aides. S'il s'est écoulé plus de 10 ans entre l'octroi de l'aide et la première intervention de la Commission à l'égard de cette aide, alors le remboursement ne pourra pas être demandé.
Le fondement économique qui sous-tend
la restitution des aides illégales et incompatibles est la volonté de restaurer une concurrence loyale et
effective. D'après le traité, une aide est par essence constitutive d'une
distorsion de concurrence, et ce n'est que pour autant qu'elle permette
d'atteindre un certain nombre d'objectifs de politique économique, examinés par
la Commission dans un contexte communautaire, que cette distorsion de
concurrence peut être compensée. Par conséquent si une aide s'avère illégale et
incompatible, par définition, elle a engendré une distorsion de concurrence
sans justifications suffisantes pour la compenser.
Cette distorsion de
concurrence doit être supprimée a posteriori en revenant à la situation antérieure
en demandant le remboursement de l'aide. Cette notion de remboursement n'a en
aucune manière une signification de sanction. La Cour est claire à cet égard
dans son arrêt Boussac du 14 février 1990 où elle indique que la seule
illégalité de l'aide ne peut conduire à un remboursement.
Mais le fait que le contrôle de la
compatibilité des aides étatiques au regard du droit communautaire relève de la
responsabilité de la Commission n'exclut pas toute compétence des Etats membres
en la matière. Compte tenu de l'effet direct de la dernière phrase de l'article
88 §3, les juridictions nationales sont amenées " à interpréter et à
appliquer la notion d'aide visée à l'article 92 (nouvel art. 87), en vue
de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la
procédure de contrôle de l'article 93 § 3 (nouvel art. 88 § 3) devait ou
non y être soumise " (C.J.C.E., 22 mars 1977, Steinike
& Weinlig c. Allemagne. 78/76, Rec., 1977, p.
595, point 14). Interrogée par le Conseil d'Etat français sur la portée
juridique de la dernière phrase de l'article 88 §3 C.E, la Cour répondit que
cette disposition devait " être interprétée en ce sens qu'elle impose
aux autorités des Etats membres une obligation dont la méconnaissance affecte
la validité des actes comportant mise à exécution de mesures d'aides "
(C.J.C.E., 21 novembre 1991, "Fédération nationale du commerce
extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et
transformateurs de saumon c/. France". C-354/90, Rec. 1991, p. I-5505,
Dispositif de l'arrêt). De même, la Cour a considéré que l'ouverture par la
Commission d'une procédure au titre de l'article 88 C.E. n'oblige pas une
juridiction nationale à se déclarer incompétente ou à surseoir à statuer dans
l'attente de la décision de la Commission (C.J.C.E., 11 juillet 1996. C
39/94. Syndicat français de l'Express International (S.F.E.I.) e.a./ La
Poste e.a . Rec. I p.
3547) .
Il n'en reste pas moins que l'Etat doit
réparer les effets de son comportement illicite, en procédant lui-même à la
récupération des aides illégalement versées. A cet égard, le juge communautaire
a précisé que c'est aux juridictions nationales qu'il appartient de trancher
les litiges relatifs à la récupération de montants indûment versés en vertu du
droit communautaire. (C.J.C.E., 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor/ R.F.A., point 19 de l'arrêt rendu. Rec p. 2665).
C’est
encore la CJCE qui a précisé le régime des aides déclarées incompatibles en
imposant l’obligation de récupération des aides illégales alors que le traité
visait leur suppression. Pour la Cour « la suppression de l’aide illégale
par voie de récupération » apparaît donc comme la conséquence logique de
la constatation de son illégalité (CJCE, 21 mars 1990, Belgique c/ Commission).
La CJCE avait déjà ouvert cette voie dans un arrêt Commission c/ Allemagne du
12 juillet 1973 confirmée par la Commission dans une communication du
24/11/1983 puis dans un règlement du 22/03/1999
Il
s’agira dans cette situation le plus souvent d’un contentieux visant les aides
non notifiées. En effet, une juridiction nationale à laquelle il est demandé
d’ordonner la restitution d’aides doit faire droit à cette demande si elle
constate que les aides non pas été notifiées à la Commission. Certains auteurs
parlent de l’application d’une primauté de deuxième génération, alors que
d’autres ne font relever que la conséquence de l’efficacité et de la pleine
effectivité du droit communautaire pour justifier le pouvoir d’ordonner la
récupération de l’aide qui revient donc au juge national.
Le juge
national se voit ainsi investi du pouvoir de prononcer la restitution des aides
illégalement allouées, pouvoir renforcé par la possibilité de prononcer des
mesures conservatoires (cf. CJCE, 11 juillet 1996, SFEI c/ La Poste)
Pour
l’exercice de sa mission le juge national à l’image du juge communautaire est
amené à apprécier la réalisation de deux conditions cumulatives :
1] La
qualification de l’aide préalable à la mise en œuvre de la récupération par le
juge national
Pour
recevoir une telle qualification la mesure en question doit consister en :
. Un
avantage (par exemple : une subvention, un allègement de charges fiscales
ou sociales d’une façon générale de tout avantage qui allège les charge qui
grève normalement le budget d’une entreprise)
. Cet
avantage doit avoir un effet discriminant (consenti au bénéfice de certaines
entreprises)
.
Celui-ci doit avoir octroyé par l’Etat (collectivités ou autres organismes sous
tutelle de l’Etat) ou sur ressource d’Etat (on entend par là une incidence sur
le budget public)
.
Enfin, cette mesure doit fausser ou être susceptible de fausser la concurrence
dans le cadre des échanges intra-communautaires.
Notons
encore, que cette aide doit être nouvelle. Ainsi, seront exclues les aides
existantes, c'est-à-dire antérieures à l’entrée en vigueur du Traité, ou encore
les aides ayant fait l’objet d’une notification mais restées sans réponses ou
ayant reçue une réponse au-delà du délai de deux mois. Enfin, sont exclues les
aides prescrites (prescription acquise après un délai de 10ans).
Comme
nous l’avons évoqué précédemment, le juge national s’il doit décliner sa
compétence au profit des autorités communautaires s’agissant de l’appréciation
de la compatibilité de l’aide (CJCE,19 juin 1973, Capolongo c/ Maya ; Steinike
et Weinling précitée, CJCE, 16 mai 2000, Ladbnooke), il n’hésite en revanche pas à se
reconnaître compétent pour qualifier l’aide. Il peut aussi se tourner vers le
juge communautaire par la voie d’une question préjudicielle pour se prononcer
sur la qualification de l’aide. Toutefois, la réponse que la Cour est amenée à
donner à la juridiction de renvoi ne préjuge pas de leur compatibilité avec le
Traité (CJCE, 8 nov. 2001, aff. C-143/99, Adrien-Wien
Pipeline).
Sur la
compétence du juge national pour la qualification de l’avantage en aide
Etat :
CE, 23
novembre 2001, MINEFI c/ SA Editions Jacques Glénat
Il
entre dans la compétence du juge national de se demander si une mesure
constitue une aide au sens de l’article 87 TCE. Il
lui appartient donc de vérifier si tous les critères de la notion d’aide sont
satisfaits (origine des fonds, transfert de charges financières, sélectivité de
la mesure, affectation du commerce intra-communautaire)
V.
CJCE, 22 mars 1977, Steinike et Weinlig c/ RFA: Rec. CJCE, p. 595.
On l’a
vu, l’existence d’une aide est une condition nécessaire cependant cette
condition est insuffisante. En effet, encore faut-il que cette aide ait été
attribuée en violation du droit communautaire, précisément en méconnaissance de
l’obligation de notification auprès des autorités communautaires.
2] La
violation du droit communautaire
Le juge
sanctionne cette violation, à titre d’illustration on peut citer quelques
exemples de jp :
CE 6
novembre 1998 CNIH
Les
autorités nationales, ainsi que le prévoit la dernière phrase du § 3 de
l’article 93 du traité , ne peuvent pas mettre à
exécution les projets tendant à instituer ou modifier les aides financées par
le CNIH avec le produit de taxes parafiscales sans les avoir notifiés
préalablement à la Commission, alors même que ces aides seraient financées
uniquement par des taxes frappant des transactions portant sur des produits
nationaux. Or la mise à exécution sans notification préalable des décrets à
l’autorité Communautaire est sanctionnée par le juge qui impose la restitution
ab initio
TA
Dijon 25 mai 2000 SA Nevers Viandes
Avantages
créés = aide au sens de l’article 92 du traité, qui affecte nécessairement les
échanges de produits carnés entre les EM de la Communauté. Ce régime d’aide
‘ayant pas été notifié à la Commission, comme il aurait du l’être conformément
à l’article 93§3, la société requérante est fondée à demander la restitution
des taxes litigieuses.
>>
Même solution que TA Melun 11 mars 99, TA Nantes 15 septembre 2000 Sté
Comptoirs modernes économiques de Normandie
TA
Strasbourg 24 juillet 2003 Société Brit Air c/ CCI
de Strasbourg et du Bas Rhin
Décision
jugées illégales car la commission de Bruxelles n’avait pas été prévenue =
restitution
>>
CAA Nancy 18 décembre 2003 CCI de Strasbourg et du Bas Rhin c/ Société Brit Air
Confirme
que les aides financières accordées à Ryanair sont
des aides d’Etat illégales
Le juge
sanctionne la violation mais il protège aussi le bénéficiaire d’un avantage
lorsqu’il ne relève pas l’existence d’une aide
CE 5
octobre 98 Union des industries chimiques, pas de création d’aide au
sens de l’article 92 et s. TCEE, l’Etat français n’est donc pas tenu par
l’artcile93§3 d’informer la Commission européenne du projet du décret
(prévoyant taxe fiscale sur les huiles de base afin de financer des aides au
ramassage des huiles usagées et à leur traitement ou élimination)
Le CE
accepte de se prononcer sans renvoi préjudiciel à la CJCE sur la question de
savoir si les aides prévues par le décret sont des aides au sens des articles
92 et suivants car cette question a été tranchée dans un sens négatif par
l’arrêt de la CJCE 7 février 85
Association de défense des brûleurs d’huile usagées.
Le
contentieux des aides non notifiées
Le
risque de voir une aide compatible déclarée illégale est important en cas
d’absence de notification. Le problème étant de définir ce qui relève ou non
d’une mesure devant être notifiée. Finalement, on peut se demander si toute
mesure comportant des dispositions financières ne devraient pas être soumises à
notification ne serait-ce qu’à titre préventif. (c’est
l’idée que développe Stéphane LAGET dans l’AJDA du 16
février 2004 p. 298 et s.) L’auteur rappelle ainsi que pour la CJCE, 22 juin
2000, aff. C-332/98, République française c/
Commission, les EM doivent notifier les mesures même lorsqu’ils doutent
qu’elles soient des aides d’Etats
Pourtant,
une difficulté peut notamment survenir dans l’hypothèse d’aides susceptibles
d’être considérées comme compatible avec les exigences du Traité (ex. jp Altmark, GEMO etc.), hypothèses dans lesquelles
l’incompatibilité des aides seraient susceptible d’être rachetée par
l’existence d’une compensation financière représentant la contrepartie
d’obligations de service public imposées par les EM.
D’abord, dans une telle hypothèse le juge national ne sait pas toujours comment
se positionner, ensuite lorsqu’il s’est prononcé sur l’illégalité de la mesure
du fait du non respect de l’obligation de notification se pose alors le point
de savoir si la décision par laquelle la Commission a conclut à l’absence
d’aide d’Etat est susceptible de régulariser a posteriori la première violation
procédurale. Il semble cependant que le juge national n’ait pas d’autre choix
que d’ordonner la récupération de l’aide illégalement octroyée (s’agissant des
suites de l’affaire GEMO, c’est dans ce sens que la CAA de Lyon semble
s’orienter après les décision du TA de Dijon du 25 mai 2000 et la réponse
formulée par la CJCE dans le cadre de la question préjudicielle CJCE, 20
novembre 2003 C. C-126/01, GEMO)
Une
action fondée sur la théorie de la concurrence déloyale (concurrent évincé
critique le prix anormalement bas pratiqué par le candidat retenu pour
l’attribution du marché pratique rendue possible grâce au bénéfice d’une aide
étatique) = la cass com ne
suit pas cette position mais accueil le recours (Cass. Com., 15 juin 1999)
Dans
l’hypothèse d’une aide déclarée incompatible avec le traité, le juge national
intervient pour récupérer l’aide indue, mais cette fois comme auxiliaire du
juge communautaire. Là encore, cette intervention du juge national est dominée
par le principe d’autonomie procédurale.
Ainsi, lorsque la Commission
déclare une aide illégale, elle prend une décision de récupération (art. 14§1
du règl. 659/1999). Cette récupération s’opère alors
sans délai, conformément aux procédures du droit national de l’Etat membre
concerné, pour autant que les procédures propres à chaque EM permettent
l’exécution immédiate et effective de la décision.
Pour
assurer la plus grande efficacité dans l’exécution de la décision de
récupération, les tribunaux nationaux, et les Etats membres concernés sont
tenus de prendre toutes les mesures nécessaires prévues dans leurs systèmes
juridiques respectifs, aux besoins toutes mesures conservatoires utiles (art.
14§3 du règlement de 1999 et communication de la Commission 1983 C.318). En
outre, dès que la Commission a pris une décision, la juridiction nationale est
liée par elle (CJCE, 9 mars 1994, aff. C-188/92, TWD
I)
Ainsi,
lorsque la Commission se sera prononcée dans le sens d’une incompatibilité de
l’aide avec le marché commun, décision d’effet direct, il appartiendra alors à
l’état de récupérer le montant de l’aide, cette obligation pourra s’analyser
comme une obligation de résultat. Pour satisfaire cette exigence, l’Etat devra
prendre un acte qui prendra le plus souvent la forme d’un ordre de restitution
(TA de Paris, 16 février 1994, Société Augéfi). Notons, que l’Etat ne
pourra s’abstenir d’agir dans la mesure ou l’absence d’adoption
d’un ordre de reversement est constitutive d’une illégalité (voie du REP ouvert
aux entreprises ayant intérêt à agir avec possibilité pour le juge d’adresser
des injonctions avec astreinte)
La
responsabilité de l’Etat défaillant pourra encore être engagé du fait du
préjudice résultant de la violation du droit communautaire (CJCE, 19 nov 1991, Francovitch et Bonifaci)
Toutefois,
pour mettre en œuvre la reponsabilité de l’Etat la
violation caractérisée du droit communautaire devra être démontrée par le
requérant (CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame).
Cette exigence est également requise devant le CE (28 février 1992, Sté Arizona
Tobacco Products et Philipp
Morris France)
S’il
est louable de poser un principe d’interdiction des aides ayant pour
conséquence la restitution, encore faut il que dans les faits, cette
récupération ait effectivement lieu, pour ne pas fausser le jeu d’une
concurrence loyale. Or il est rare que la restitution de l’aide perçue ait
lieu, et ce à cause de nombreux obstacles juridiques ou pratiques.
La
récupération des aides d’état n’est donc pas un mythe (en écho à la formule de
Michaël KARPENSCHIF : « la mythe actuel de la répétition des aides
indues »), la Commission peut adresser des injonctions aux Etats membres
et eux-mêmes se dotent d’un arsenal procédural pour assurer la plus grande
efficience dans l’application des décisions de récupération (par exemple en
France en matière de contentieux administratif, depuis la loi du 8 février1995
extension des pouvoirs d’injonction et d’astreinte du juge administratif).
Toutefois, cette procédure de récupération n’a pas encore atteint un niveau
optimal d’efficacité de même qu’il est difficile de prétendre qu’elle assure le
rétablissement de la situation concurrentielle préexistante.
Ainsi,
il existe de bonnes raisons d’entretenir de tels doutes notamment si l’on
s’arrête un instant sur la liste non exhaustive et récurrente des
justifications apportées par les Etats aux fins de soustraire à leurs
obligations, on peut évoquer au nombre de ces justifications :
-
les
conséquences économiques et sociales désastreuses que pourraient entraîner la
restitution des aides = notamment le risque de faillite de l’entreprise
bénéficiaire et de conflits sociaux. Cependant, le juge rejette cette
argumentation considérant que cette argumentation « aboutirait à rendre sans
objet les règles communautaires ». (CJCE, 1986, Commission c/ Belgique)
-
l’impossibilité
ou les difficultés tenant à l’organisation administrative ou constitutionnelle
particulière à certains Etats membres Ex ; Italie face à l’inertie de
la Sicile, ou le passage de cette compétence de l’Etat à la Région en Belgique
au moment de la Régionalisation (CJCE, 21 février 1990, Commission c/
Belgique) ; Rejet de cette argumentation par la cour au motif « qu’il
est de jurisprudence constante qu’un Etat membre ne serait exciper de
dispositions pratiques ou de situations de son ordre interne pour justifier le
non-respect des obligations résultant du droit communautaire », 21 février
1990, Commission c/ Belgique également)
-
la règle
de « l’intangibilité du capital social » prévue par le droit belge
(CJCE, 1986, Commission c/ Belgique) et autres règles privant d’effet
d’utile le droit communautaire. En effet, la Cour considère « qu’en
principe, la récupération d’une aide illégalement accordée doit avoir lieu
selon les dispositions de procédures pertinentes du droit national, sous
réserve, toutefois que ces dispositions soient appliquées de manière à ne pas
rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit
communautaire » (notamment, CJCE, 2 février 1989, Commission c/ RFA,
CJCE, 21 mars 1990, Royaume-Uni c/ Commission…)
-
l’impossibilité
d’identification des bénéficiaires de l’aide (CJCE, 21 mars 1991, Italie c/
Commission)
-
les
difficultés économiques internes, la contestation de l’utilité économique de la
récupération, etc.
Autant
d’artifices visant à priver « d’effet utile » les décisions
prescrivant la récupération mais qui ne sauraient prospérer du fait de la
vigilance du juge communautaire.
Les aides d’Etat sont le plus souvent
octroyées par une personne publique, généralement par le biais d’un acte
administratif. Cela peut être un décret ou même une loi. Le contentieux de la
récupération est donc le plus souvent un contentieux devant le juge
administratif. Mais l’existence de deux ordres de juridictions en France vient
quelque peu compliquer cette présentation. En effet, les juridictions
judiciaires peuvent être compétentes lorsque l’aide n’est pas octroyée par un
acte administratif mais résulte de simples pratiques ou agissements. Ce
problème de la détermination de la juridiction compétente va rallonger d’autant
les délais des contentieux concernant
soit la qualification de l’aide soit sa restitution.
L’importante affaire concernant La Poste et sa
filiale Chronopost, société de droit privé, fournit un bon exemple de cette
difficulté. La Poste consentait à sa filiale des avantages matériels, notamment
une assistance logistique et matérielle. Les concurrents de Chronopost, comme
l’UFEX ou DHL estimaient que cette aide, sans contrepartie sérieuse était une
aide d’Etat qui n’avait pas fait l’objet d’une notification, donc une aide
illégale. Ils ont donc saisit le tribunal de commerce de Paris en juin 1993
pour demander le remboursement de l’aide, d’un montant supérieur à 2 millions
de francs. Le préfet de la région
d’Ile-de-France déposa un déclinatoire de compétence au motif qu’étaient en jeu
des deniers publics. Le tribunal de
commerce le rejeta. Le conflit fut donc élevé et le tribunal des conflits a du
trancher cette question dans son arrêt du 19 janvier 1998, UFEX contre La Poste
celui-ci décida que l’ordre judiciaire était compétant puisque dans le cadre de
ses relations avec Chronopost , La Poste ne fait pas
usage de ses prérogatives de puissance publique. Finalement, on est revenu
devant le juge judiciaire. Mais presque 5 ans se sont écoulés avant qu’une
question de compétence soit tranchée. Or pendant cette période, Chronopost a pu
continuer à bénéficier de l’assistance de La Poste.
En permettant aux entreprises intéressées de
porter le contentieux de la récupération devant les juridictions internes, le
risque d’enlisement des affaires est fort. Les entreprises concernées par un
ordre de restitution usent de toutes les voies de recours possibles. On peut
citer l’exemple d’Alcan, qui, 12 ans après avoir été tenu de restituer une aide
n’avait toujours pas exécuter son obligation.
Les
aides octroyées par l’Etat le sont le plus souvent a
des entreprises ou des secteurs en difficulté comme le textile ou la
métallurgie. ( exemple du plan Borotra en France ou Maribel I et II en Belgique ). Or la restitution des aides
soulève des questions spécifiques lorsque le bénéficiaire de l’aide se trouve
être une entreprise en difficulté. En principe, les difficultés de l’entreprise
n’affectent en rien l’obligation de restitution des aides incompatibles. Mais
il existe un obstacle pratique rendant toute restitution impossible. En effet,
comment obtenir la restitution des aides indues si le bénéficiaires n’est pas
financièrement en mesure des les rembourser ou à tout simplement cesser son
activité ?
On peut
citer ici une décision de la Commission du 15 juillet 1987 ordonnant la
restitution de 338, 5 millions de francs illégalement accordés à l’entreprise
Boussac Saint-frère et qui, après que l’affaire ait été portée devant le juge
administratif ( TA paris, 16 février 1994, société
Augéfi ) est devenue effective alors que l’entreprise avait cessée toute
activité.
Se pose
ainsi la question de savoir si le repreneur d’une entreprise en difficulté est
tenu de rembourser. Il faut alors distinguer si la cession de l’entreprise est
réalisée après liquidation ou sans liquidation. Sans liquidation, le repreneur
se voit tenu de rembourser l’aide de l’entreprise rachetée. Mais lorsque la
liquidation a eu lieu, celle-ci entraîne l’extinction des créances. Les
juridictions se contentent alors de réclamer la restitution à l’entreprise en
faillite, dans le cadre des possibilités offertes par l’éventuel boni de
liquidation. Autant dire que l’aide n’est alors jamais remboursée.
On sait
que la Cour a admis que la récupération de l’aide devait s’effectue « selon
les dispositions pertinentes du droit national. » Or certaines règles
du droit français empêche à priori cette récupération.
On peut penser aux règles concernant le
retrait des actes administratifs créateurs de droit. En effet, l’Etat qui a
versé une aide par voie de décision unilatérale va se trouver confronté au
problème du retrait de son acte, préalable indispensable à la récupération des
sommes. Cet acte est créateur d droits et le droit administratif ne permet pas
son retrait dans n’importe quelle conditions. Mais on peut aussi penser au
principe de la force obligatoire du contrat qui empêcherait qu’une aide
instituée par contrat puisse être remboursée.
Ce type
de difficulté existe aussi en Allemagne, ou le principe de sécurité juridique
et le concept de vetrauenschultz encadre fortement le retrait des actes
créateurs de droit.
Mais
ces arguments peuvent être écartés puisque selon la CJCE, les dispositions
pertinentes du droit national ne doivent pas rendre impossible la récupération
exigée par le droit communautaire. Cette formule rend donc inopposable à la
récupération de l’aide les principes français en matière de retraite des actes
unilatéraux ou de force obligatoire du contrat.
L’acte
juridique par lequel l’aide a été octroyée peut donc être déclaré nul par le
juge national car pris en violation du droit communautaire. L’annulation étant
rétroactive, le bénéficiaire est ainsi normalement tenu
de rembourser ce qu’il a touché, selon le principe de la répétition de l’indu.
Concrètement,
l’Etat membre qui doit récupérer l’aide peut s’estimer créancier du
bénéficiaire de l’aide sur la seule base de la décision de la Commission ou
d’une juridiction nationale. La décision de la commission, bien qu’adressée à
l’Etat membre concerné est opposable au bénéficiaire de l’aide et peut
justifier l’émission par l’Etat d’un état exécutoire à l’encontre de
l’entreprise, sans que l’Etat membre ne soit obligé préalablement de retirer
l’acte octroyant l’aide.
L’acte
exécutoire est un titre émis par le ministre au nom de l’Etat qui rend la
créance liquide et exigible. Cette procédure de l’état exécutoire est un
privilège de l’administration qui n’a pas a passer
devant un juge pour obtenir le paiement des sommes réclamées. C’est un aspect
de privilège du préalable de l’administration. Cette procédure est prévue par
un décret du 19 décembre 1962.
L’entreprise
peut faire opposition au recouvrement de la créance étatique, opposition qui
s’effectue comme en matière de contributions directes pour des motifs tirés de
l’existence, de l’éxigibilté ou de la quantité de la créance. C’est ce qui
s’est passé dans l’arrêt du tribunal administratif de Paris du 16 février 1994,
société Augéfi. La société Augéfi, venant aux droits de la société Boussac
contestait la validité de l’état exécutoire, mais le tribunal rejeta ces
arguments.
E. Le rôle du
concurrent de l’entreprise bénéficiaire d’une aide.
C’est
le concurrent de l’entreprise percevant une aide illégale qui a en définitive
le plus intérêt à ce que l’aide soit remboursée.
Il va
donc tenter de paralyser le versement de cette aide. Malheureusement, les
procédures d’urgences devant les juridictions nationales ne lui seront pas très
utiles. En effet, le sursis à exécution n’a guère de chance de prospérer car
c’est souvent par le versement de l’aide à l’entreprise que ses concurrents en
prennent connaissance. Le sursis ne pourra donc pas être accordé puisque l’acte
aura déjà été exécuté.
Concernant
le fond, le concurrent du bénéficiaire d’une aide illégale dispose devant le
juge administratif du recours pour excès de pouvoir qui lui permet de
solliciter l’annulation de la décision d’octroi de l’aide et du recours de
pleine juridiction qui lui permettra d’obtenir des dommages et intérêts.
Les
insuffisances du REP ont été passablement corrigés par
la loi du 8 février 1995. l’annulation de la décision
peut maintenant être accompagnée d’injonction faites à l’administration de
récupérer l’aide indue. Ainsi le concurrent pourra solliciter la récupération
de l’aide, éventuellement sous astreintes.
Enfin, en
droit français, une action en concurrence déloyale pourrait légitiment être
envisagée à l’encontre de l’entreprise fautive. En effet, il existe un courant
doctrinal et jurisprudentiel qui considère que l’acceptation par l’entreprise
d’une aide illégale constitue une faute puisque l’entreprise va se placer dans
une situation anormalement favorable vis-à-vis des concurrents qui eux
respectent les réglementations en vigueur. Cette faute va pouvoir être
sanctionnée.
Enfin, le concurrent peut
rechercher la responsabilité de l’Etat.
En conclusion, on voit que la récupération des aides n’est pas aisée. D’ailleurs M. Vogel suggérait d’accorder des dommages et intérêts aux concurrents du bénéficiaire de l’aide plutôt que de procéder à la restitution. Plutôt que de retire à l’un, il faut donner à tous. Cette idée originale a toutefois deux inconvénients majeurs : la détermination de tous les concurrents est délicate et cette solution coûterait extrèment chère à l’Etat.
Lamy Droit Economique 2004 – Contrôle et sanctions en matière d’aide d’Etat
§ 2357 Récupération de l’aide illégale p.847-848
Memento Pratique - Francis Lefebvre, Union Européenne 2004-2005
Jean-Michel COMMUNIER, Le droit communautaire des aides d’Etat, LGDJ
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Les pouvoirs du juge national et les « aides » non notifiées à la Commission
TA de Paris, 16 février 1994, Société Augéfi c/ Société « Sèvres participations et gestion »
TC, 19 janvier 1998, UFEX c/ La Poste