LE MOBILIER URBAIN OU LA QUESTION DU LEASE 

 

 

 

On a eu l’occasion de constater lors du précédent exposé que la question du coût du mobilier urbain était problématique. Le manque certain de mise en concurrence et les différentes techniques tendant à une reconduite quasi perpétuelle des contrats de mobilier urbain avaient fait l’objet d’une vive critique notamment de la part des autorités chargées du respect du droit de la concurrence et des juges administratif et financier.

 

Les grands points énoncés lors du 1er développement :

 

-         Une meilleure gestion des ressources tirées du domaine public,

-         Une mise en concurrence plus performante afin de choisir un partenaire offrant la prestation économiquement la plus avantageuse,

-         Une mobilisation d’hommes et de moyens techniques et financiers pour permettre aux collectivités les plus petites de mettre en oeuvre une dénonciation, une renégociation des conditions du contrat, ou une nouvelle mise en concurrence.

 

=> tout ceci a un coût qui ne saurait être supporté par toutes les collectivités.

 C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains s’interrogent sur la pertinence du contrat de mobilier urbain, et envisagent de développer d’autres procédés, qui emporteraient moins de contraintes et plus d’efficacité.

 

Parmi ces diverses solutions, une a attiré toute mon attention, c’est celle du lease des équipements publics.

 

 

Bref historique de la notion :

 

Le lease, issu du droit anglo-saxon est apparu en France à l’occasion de la question du financement des lignes de TGV. Le coût des équipements et l’importante déficience des fonds publics nécessaires à leur réalisation ont posé un évident problème de financement.

 

Plusieurs procédés de financement avaient été élaborés, notamment ceux qui permettent une association avec les investisseurs privés :

 

-         le crédit-bail

-         la vente en l’état futur d’achèvement

 

Or, aucun de ces deux procédés ne pouvaient valablement être invoqués.

 

En effet, le crédit-bail s’opposait au principe d’inaliénabilité du domaine public et empêchait ainsi une appropriation par le crédit bailleur, en ce sens que ce dernier était automatiquement une personne morale de droit privé.[1]

 

S’agissant de la VEFA, c’est le Conseil d’Etat qui a posé les limites d’un tel montage en considérant que les collectivités publiques ne sauraient avoir recours à ce contrat de vente de droit privé lorsque l’objet de l’opération est la construction même pour le compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres.[2]

 

C’est ainsi que la mise en place d’un autre procédé qui n’entrerait pas en conflit avec les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public est apparue nécessaire.

La réponse est venue directement du droit anglo-saxon avec le lease.

 

Ainsi, il conviendra de préciser que le lease est un montage complexe mais lucratif ( I ) qui met les principes de la domanialité publique au défi ( II ).

 

 

I – Le lease, un montage complexe mais lucratif …

 

Il convient de décrire la complexité du montage ( A ) avant de s’intéresser à son aspect lucratif ( B ). 

 

            A – Le lease, un montage complexe

 

□ Le Masterlease[3] et le Sublease, des contrats-type 

 

Le Master lease stipule qu’un organisme de droit public donne en location l’un de ses équipements à un trust américain pour une assez longue durée. Ce même organisme reprend immédiatement l’équipement en  “sous-location” au titre d’un contrat annexe le Sub lease, ce qui va lui permettre donc d’en conserver la jouissance et de rester maître de son affectation. Le trust quant à lui acquiert au titre de ce contrat de location la propriété économique de l’équipement.

 

□ Conditions nécessaires à sa réalisation

 

Le contrat entre le trust et l’organisme de droit public doit avoir pour objet de confier au premier la propriété économique de l’équipement.

 

Premier problème : la définition de la propriété économique.

                                                                                                 

La propriété économique est définie par la norme comptable américaine FASB 13 qui procède de la technique des faisceaux d’indices.

 

Trois indices permettent de considérer que le trust dispose bien de cette propriété et donc emporte la qualification du contrat de lease :

 

-         1er indice : une location de longue durée 

 

La durée doit être supérieure à 75% de la durée de vie de l’actif objet du contrat.

 

-         2ème indice : une option de rachat en faveur de l’organisme de droit public prévue au contrat

 

Cette condition inscrite au code des impôts américain permet à l’organisme de reprendre définitivement l’équipement. Dans ce cas, il ne rachète pas vraiment l’équipement, puisqu’il ne s’agit pas d’un contrat de vente mais bien d’un contrat de location. Il rachète en réalité les droits résiduels du trust qu’il dispose au titre de ces contrats.

 

-         3ème indice : un indice d’ordre financier

 

Les sommes garanties à l’organisme public doivent être supérieures à 90% de la valeur de l’actif. Concrètement, ces sommes englobent les loyers payés par le trust à l’organisme dont le total doit être supérieur à 90% de la valeur de l’actif.

 

 

            B – Le lease, un montage lucratif

 

 

On vient de voir que le troisième indice était un indice d’ordre financier qui oblige le trust à verser une somme à l’organisme public supérieure à 90% de la valeur de l’actif.

 

A ce stade, on peut légitimement se demander quel est l’intérêt pour le trust de verser une somme aussi importante surtout lorsque l’on sait que les équipements objets du lease sont lourds et donc très coûteux.

 

La réponse se trouve dans l’équilibre des obligations réciproques de chacune des parties au contrat.

 

□ Au titre du contrat de Master lease

                  

Le trust doit verser des loyers à l’organisme public dont le total des sommes doit être supérieur à 90% de la valeur de l’actif. 

 

□ Au titre du contrat de Sub lease

 

L’organisme doit verser également des loyers pour la sous location du même équipement. Evidemment le contrat stipule que les sommes versées par l’un sont équivalentes à celles versées par l’autre.

En outre, et pour faire face à ces dépenses, le contrat dispose que le trust confie à l’organisme public une somme d’argent qu’il devra laisser placée en banque pendant toute la durée du contrat. C’est sur les intérêts produits que l’organisme public se rémunère pour payer ses loyers et éventuellement pour faire face à l’option de rachat.  

 

Au surplus, et c’est là toute l’originalité du contrat, le trust n’effectue contrairement à ce que l’on peut penser aucune dépense.

En effet, le placement de la somme qu’il confie à l’organisme de droit public se fait dans une banque filiale du trust. Il donne donc d’une main ce qu’il reprend immédiatement de l’autre.

 

On peut donc analyser cette opération comme un mouvement fictif de capitaux.

 

 

[cr1] □ Avantages pour les parties

 

-         Pour le trust

 

Il se voit autoriser par le droit fiscal américain, au titre de son droit de propriété économique, à amortir le bien dans ses comptes et bénéficie ainsi d’un crédit d’impôts considérable.

 

On peut donc analyser le lease comme une sorte de crédit à taux zéro accordé par le Trésor américain. Il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’un cadeau de la part de l’administration fiscale américaine. En effet, les opérations réalisées auprès des opérateurs publics français ont un impact direct sur la balance du commerce extérieur des Etats Unis. Ainsi, en 1995, la masse globale du lease portait sur plus de 2,5 milliards de dollars.

 

-         Pour l’organisme de droit public

 

Il perçoit une rémunération équivalente à environ 7% de la valeur de l’actif à la conclusion du contrat.

 

L’intérêt est double :

 

-         il n’a pas dépensé un centime, et il pourra réinjecté ladite rémunération dans le financement d’autres équipements.

-         il conserve la propriété juridique de l’équipement objet du lease et donc sa jouissance, et son affectation.  

 

Le lease est un montage lucratif si on en croit la direction juridique de la SNCFqui estime s’être enrichie depuis 1992 de plus d’un milliard de Francs.

 

 

II - … au défi des principes fondamentaux du droit public français ?

 

Il s’agit de s’interroger sur la pertinence d’un conflit entre le concept du lease et les règles gouvernant la domanialité publique (A) puis de vérifier si le contrat de lease est conforme aux principes du code des marchés publics (B).

 

A – le lease en conflit avec les règles gouvernant la domanialité publique ?

 

L’enjeu de l’exposé est de s’interroger sur la possibilité de conclure un tel contrat qui porterait sur des équipements incorporés au domaine public, alors que jusqu’à présent il ne concernait que des équipements publics ou privés qui n’en faisaient pas partie.

 

Le problème majeur en cause est le suivant :

           

=> La question de propriété économique ou le principe français de l’interdiction posée par le principe d’inaliénabilité du domaine public.

 

Ainsi admettre ce procédé permettrait d’offrir aux collectivités locales une autre source de financement de leurs mobiliers urbains, et de réaliser une économie substantielle sur ce poste de dépenses.

 

Pour l’admettre, il convient de vérifier la notion même de propriété économique afin de s’assurer qu’elle n’entre pas en conflit avec les principes de la domanialité publique.

 

Différentes définitions ont été proposées :

 

-         La première proposition est celle qui consiste à voir dans la propriété économique un droit réel.

 

Ce problème envisagé par les lois de janvier 1988 et de juillet 1994 obligerait l’obtention d’autorisation d’occupation du domaine public constitutives de droits réels pour la conclusion d’un lease. Et compte tenu de la situation des partenaires du lease on voit mal comment une telle autorisation pourrait être justifiée.

 

 

-         La deuxième proposition est celle qui consiste à voir dans la propriété économique non plus un droit réel mais un droit de créance.

 

 Si tel est le cas, cela permettrait d’écarter la question du respect du principe d’inaliénabilité du domaine public.

 

-         La troisième proposition est celle s’appuyant sur le caractère fictif de l’occupation.

 

Parce que l’occupation du domaine public est fictive, le respect du principe d’inaliénabilité est entier dès lors que la personne publique conserve la propriété juridique de la dépendance et demeure maître de son affectation.

 

=> C’est celle qui apparaît la plus légitime permettant aux collectivités locales d’avoir recours aux contrats de lease sur leurs dépendances domaniales.

 

 

B – Le contrat de lease, un marché public ?

 

Une fois le problème issu des règles propres à la domanialité publique écarté, il convient de se demander si ce montage utilisé au profit de la valorisation du domaine public n’entre pas en conflit avec les règles issues du cide des marchés publics.

 

Si le contrat de lease camoufle un marché public, sa conclusion serait toujours possible mais elle devrait respecter les règles du code. Ainsi, l’intérêt de faire appel à ce type de contrat est nettement réduit puisque l’on retombe dans les mêmes exigences que le contrat de mobilier urbain.

 

□ la requalification d’un contrat en marché public par le juge administratif.

 

De la même façon que le juge judiciaire, le juge administratif n’est pas lié par la qualification donné au contrat par les parties. Il peut toujours procéder à une requalification en tenant compte d’éléments constitutifs du contrat qui emporte la qualification de marché public.

 

Tel a été le cas dans l’affaire Sofap Marignan Immobilier de 1994 dans laquelle le Conseil d’Etat a considéré que le bail administratif emphytéotique conclu par les parties dissimulé un marché de travaux publics exécuté qui plus en en violation de la loi MOP laquelle interdit à une personne publique de se démettre de ses fonctions de maître d’ouvrage.

 

Le raisonnement serait le même pour le contrat de lease, dont le juge pourrait procéder à une requalification.

 

□ Mais quelle qualification ?

 

-         un marché public de travaux ?

 

Le lease ne saurait être requalifié de marché public de travaux puisque son objet concerne des équipements déjà réalisés et n’implique pas leur construction.

 

-         un marché public de services ?

 

Il y là un risque certain d’une requalification. En effet, selon la directive services et sa liste annexée, les services bancaires et d’investissement entrent dans son champ d’application.

 

Or, on a vu que le principe même du montage est la réalisation d’un gain financier pour l’organisme public. Pour autant, peut on en conclure que le trust est un prestataire de services financiers au titre de la directive pour le compte de l’organisme ?

 

Pour être en présence de services financiers et bancaires il faut qu’il y ait :

 

-         une remise de capitaux par l’administration à son cocontractant.

 

-         le contrat doit prévoir explicitement que l’administration reçoit un produit financier.

 

-         le prestataire doit être rémunéré par le paiement d’un prix.

 

 

=>C’est ce dernier élément qui permet de faire échapper le lease au code des marchés publics. En effet, le prestataire de l’administration est dans ce montage le trust. Or, au titre du lease, sa seule rémunération consiste en un crédit d’impôts accordé par le Trésor américain. Il paraît très osé de voir dans ce crédit accordé par une administration étrangère le paiement d’un prix au sens du code des marchés publics.

 

 

 

 

En conclusion, la réception du lease en droit français et notamment sur les dépendances du domaine public peut paraître délicate, elle n’est toutefois pas inenvisageable. En effet, on voit que le principe même d’inaliénabilité du domaine public peut être facilement écarté, ainsi que celle de marché public. On pourrait ainsi voir ces différents montages se développer auprès de nos collectivités locales, et notamment à l’occasion de l’installation de leurs mobilier urbain, afin notamment de compenser les nombreuses dépenses en la matière longtemps injustifiées.

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Avis section des Travaux Publics 20 mars 1989 EDCE 1989 n°41 p 236

[2] CE Section 8 février 1991 Région Midi Pyrénées Rec. 41

 

[3] C’est celui contracté par EDF, Air France, et la RATP.


 [cr1]