LES PARTENARIATS PUBLICS PRIVES

 

 

 

Introduction

 

Comment dépenser plus tout en ayant moins d’argent ? J’utilise volontairement cette formulation quelque peu triviale car elle a le mérite de vous plonger d’emblée au cœur du problème qui va nous occuper aujourd’hui. L’Etat français, comme d’autres Etats d’ailleurs, est confronté à un dilemme. D’une part, il y a raréfaction des deniers publics, tout particulièrement en période de restriction budgétaire. Le non respect par la France et l’Allemagne des critères posés par le Pacte de stabilité et de croissance, qui a fait l’objet de tant de débats récemment, en est l’illustration la plus flagrante.

Mais d’autre part, les besoins ne cessent de s’accroître, et ce dans tous les domaines, qu’il s’agisse de santé, d’éducation, ou encore de sécurité, pour ne citer qu’eux.

C’est précisément à cet enjeu crucial que vise à répondre le partenariat public-privé (PPP) : l’association du public et du privé doit permettre, entre autres, de dégager de nouvelles sources de financement.

 

Cette expression, reprise de la terminologie anglo-saxonne de « public-private partnership », est un concept aux frontières particulièrement larges et mouvantes, recouvrant des situations juridiques très diversifiées. Pour définir le PPP, je reprendrai M. Lignières qui, dans son ouvrage sur le sujet[1], propose deux définitions :

·        Dans une acception large, « le PPP peut se définir comme toutes les formes de collaboration entre, d’une part, les pouvoirs publics et, d’autre part, les entreprises privées », qu’il s’agisse des interventions publiques en faveur du développement du secteur privé, comme les aides d’Etat par exemple, ou des cas où ce sont les entreprises privées qui apportent leur concours à l’Etat dans la réalisation de ses missions, dans le cadre de structures d’économie mixte par exemple.

·        Dans une acception plus étroite, qui est celle sur laquelle nous nous concentrerons, « le PPP peut se définir comme la collaboration, autour de projets communs, de l’Etat ou de ses démembrements, d’une part, et des entreprises privées, d’autre part. Il s’agit alors uniquement des hypothèses dans lesquelles les entreprises concourent à la réalisation par l’Etat de ses projets avec une plus grande efficacité ». Ce type de PPP est essentiellement mis en œuvre par le biais d’instruments de nature contractuelle.

 

Bien que le terme de PPP ne soit à la mode que depuis quelques années, il recouvre des formes contractuelles de notre système juridique parfois très anciennes, telle la concession. De plus, il est très important de souligner que le PPP regroupe un très large panel de formes contractuelles organisant cette collaboration entre partenaires public et privé : délégations de services publics, marchés publics, conventions d’occupation domaniale telles que les baux emphytéotiques administratifs, ou encore crédit-bail ou vente en l’état futur d’achèvement.

 

L’objet de cet exposé ne sera pas de faire un catalogue de toutes les formes de PPP existantes en droit français, mais plutôt de se concentrer sur l’actualité de cette notion, à savoir l’élaboration en cours par le Gouvernement d’une ordonnance relative aux PPP, dans le cadre de la loi l’habilitant à simplifier le droit, du 2 juillet 2003 (Loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit).

 

Qu’est-ce qui a amené à vouloir se doter de nouveaux instruments contractuels de partenariat public-privé ? Quels sont précisément ces nouveaux outils ?

 

Dans un premier temps, nous étudierons ce qui a conduit à cette remise en question du droit français des contrats publics, c’est-à-dire d’une part sa propre rigidification et, d’autre part, la concurrence très forte venue de Grande-Bretagne.

 

Dans un second temps, je tâcherai de vous présenter les nouvelles formules contractuelles élaborées dans une démarche sectorielle tout d’abord, puis dans une perspective globale.

 

 

 

 

 

 

 

 

I. Une remise en question du droit français des contrats publics

 

A.     La complexification et la rigidification du droit français

 

1.      Les frontières entre catégories de contrats : une source d’insécurité juridique

Ces frontières sont source d’insécurité pour deux raisons : parce qu’elle sont imprécises et parce qu’elles manquent de souplesse.

 

Les critères permettant de distinguer les deux principales catégories de contrats que sont les délégations de service public (DSP) et les marchés publics (MP) n’ont été précisés que progressivement par la jurisprudence, et cela a alimenté de très nombreux débats doctrinaux. Fondamentalement, il s’agit de savoir ce qui permet de qualifier un contrat de DSP ou de MP, dans la mesure où les procédures de passation ne sont pas les mêmes dans chaque cas. L’éventuelle requalification par le juge d’un MP en DSP, ou inversement, peut conduire, d’une part, à l’annulation de la passation, et contribue, d’autre part, à fragiliser considérablement l’économie du contrat, et par là le partenariat noué entre collectivité publique et entreprise.

 

Pour ne retracer que les principales étapes de ce problème de qualification, je citerai la jurisprudence « Préfet des Bouches du Rhône » de 1996. A l’occasion de cet arrêt (CE, 15 avril 1996, Préfet des Bouches du Rhône, req n° 168325), le Conseil d’Etat a retenu comme critère essentiel de définition d’une DSP le fait que la rémunération du cocontractant soit substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation. La loi MURCEF du 11 décembre 2001 (Loi portant mesures d’urgence à caractère économique et financier, JO du 12 déc. 2001, p. 19703) a entériné cette jurisprudence en définissant la DSP comme « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service ».

 

Ainsi, ce qui permet de qualifier un contrat de DSP est la notion de risque, celui-ci devant peser sur le cocontractant et non sur la collectivité publique. L’appréciation du risque repose essentiellement sur l’évaluation de la part variable de la rémunération du délégataire, qui elle-même réside généralement dans le prix payé par les usagers.  A contrario, les MP sont définis à l’article 1 du CMP comme « des contrats conclus à titre onéreux avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit public mentionnées à l’article 2, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ». Le cocontractant est cette fois rémunéré par un prix payé par la collectivité, ne pouvant faire l’objet de fluctuations, si le marché se déroule bien dans les conditions prévues.

 

Ce remodelage de la DSP a conduit notamment à qualifier de MP, et non de DSP, ce qui avait été admis jusqu’alors, les contrats de gérance (CE, Cne de Guilherand-Granges, req. n° 156008). En revanche, les contrats de régie intéressée semblent relever quant à eux de la catégorie des DSP (CE, SMITOM Centre-Ouest-Seine-et-Marnais, req. n° 198147).

 

Toutefois, la notion d’exploitation aux risques et périls du cocontractant est imprécise et difficile à évaluer a priori. Elle relève plutôt d’une appréciation en l’espèce de chaque contrat. Cette incertitude quant à la qualification de tel ou tel contrat n’est évidemment pas de nature à encourager les investisseurs privés.

 

A cette imprécision s’ajoute une rigidification de chacune de ces deux catégories. A l’heure actuelle, on ne peut pas mêler, dans un même contrat,  des caractéristiques relevant à la fois des MP et des DSP.

 

 En effet, les DSP présentent des limites inhérentes à leur définition même, qui implique de déléguer la gestion d’un service public et non seulement celle d’un bâtiment ou d’un équipement, qui ne sont qu’un moyen de fonctionnement du service public. De plus, il apparaît que la rémunération du délégataire doit être assurée par les usagers et non par la collectivité. Ainsi, cette catégorie paraît inadaptée pour mettre en œuvre certains projets, tels que, par exemple, les shadow tolls. Ce mécanisme de péage virtuel, initié au Royaume-Uni au début des années 1990, consiste à faire concevoir, construire, financer, et exploiter des infrastructures routières et à faire acquitter le péage  non par l’usager mais par l’Etat et les collectivités locales. Ce péage est toutefois versé en fonction du trafic réel, grâce à des systèmes de comptage, afin d’y intéresser l’entreprise.

 

 

 

Pour ce qui est des MP, ils semblent également peu adaptés au financement privé d’ouvrages publics, du fait essentiellement de deux dispositions du CMP.

D’une part, l’article 94 interdit les clauses de paiement différé. Or, c’est précisément ce mode de paiement qui est privilégié dans de nombreux contrats de PPP.

D’autre part, l’article 10 du CMP oblige à allotir les MP ayant à la fois pour objet la construction et l’exploitation ou la maintenance.

De plus, l’article 10 de la loi MOP (Loi n° 85-704 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée) prévoit que pour la réalisation d’un ouvrage, la mission de maîtrise d’œuvre doit être distincte de celle d’entrepreneur, ce qui empêche un même contrat de porter à la fois sur la conception et sur la construction d’un équipement.

 

Le cas des marchés d’entreprise de travaux publics, tentative avortée d’introduire plus de souplesse en dépassant la rigidité des catégories précédentes, illustre parfaitement cet ensemble « d’incompatibilités ».

 

2.      L’expérience du marché d’entreprise de travaux publiques (METP)

Il est particulièrement intéressant ici de rappeler le cas des METP non seulement pour illustrer ces travers du droit français des contrats publics, mais aussi parce qu’après avoir été bannie, cette technique contractuelle est particulièrement présente dans les réformes actuelles que j’aborderai par la suite.

 

L’expression METP est d’origine jurisprudentielle (CE, 11 déc. 1963, Ville de Colombes, Rec. CE, p. 612) et désigne un contrat de longue durée par lequel une collectivité publique confie à un cocontractant  unique la construction d’un ouvrage et son exploitation, moyennant une rémunération forfaitaire versée de manière fractionnée par la collectivité.

 

Une grande partie des débats juridiques suscités par ces contrats consistait à déterminer leur nature. Tandis que l’objet du METP, à savoir la dévolution d’une mission de service public, le rapproche d’une DSP, le mode de rémunération, quant à lui, l’assimile plutôt à un MP. Or cette absence de rattachement à l’une des deux catégories, et par là « le vide juridique » laissé quant aux modalités de passation, a abouti à certaines utilisations dévoyées de cette technique contractuelle.

 

Le METP a été en effet très utilisé par les collectivités locales, car il leur permettait de financer dans des délais brefs des équipements généralement très coûteux, sans pour autant avoir recours à l’emprunt ni à une augmentation impopulaire de la pression fiscale.

Néanmoins, se sont développés ce que certains auteurs ont qualifié de « faux METP ». Il s’agissait de nommer METP des contrats qui ne portaient que sur la construction et la maintenance d’infrastructures, et non sur l’accomplissement d’une véritable mission de service public.

 

            Cela a conduit le Conseil d’Etat, dans son arrêt de 1999 « Commune de La Ciotat » (CE, 8 fév. 1999, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Cne de La Ciotat, req. n° 150931), à qualifier clairement les METP de MP, les soumettant par là même au CMP.

Le « nouveau » CMP est venu peu après poser les règles des articles 10 et 94, conduisant, sans la nommer, à prohiber cette technique contractuelle.

 

            Il n’en demeure pas moins, et ce au-delà de certaines affaires qui ont pu à l’époque défrayer la chronique, en particulier celle de lycées d’Ile de France, que ce type de contrats présente un intérêt certain : permettre de faire préfinancer la construction d’équipements publics qui, pour être très coûteux, n’en sont pas moins nécessaires ; permettre à la collectivité d’avoir une entreprise, interlocuteur unique ; permettre aux entreprises, par le regroupement des prestations, de réaliser des économies d’échelle et de consentir ainsi des prix plus attractifs.

 

            C’est pourquoi on retrouve les caractéristiques de cette technique contractuelle dans le procédé anglo-saxon de la Private Finance Initiative (PFI), qui est venu largement concurrencer le droit français des contrats publics, et qui amène d’ailleurs aujourd’hui à la réintroduire dans notre système juridique.

 

B.     La concurrence du modèle anglo-saxon de PFI

La PFI est une politique lancée par les gouvernements britanniques conservateurs au début des années 1990, et reprise par Tony Blair sous le nom de Public Private Partnership. L’objectif qui lui a été assigné dès l’origine a été de diminuer les dépenses publiques tout en décuplant la capacité d’intervention du secteur public et en améliorant la qualité des services. Pour ce faire, la PFI encourage le financement par le secteur privé de la réalisation et de la gestion d’infrastructures publiques.

Tandis que la concession française, largement développée au cours du XIXème siècle, s’était imposée comme le modèle en matière d’association des secteurs public et privé, et avait été largement exportée, les méthodes de contractualisation françaises ont vu leur influence décliner, au profit essentiellement de celles de PFI, qui constituent désormais LE modèle de référence en matière de PPP. Cette vive concurrence constitue aussi l’un des éléments majeurs qui ont mené aux changements actuels de notre droit, qui d’ailleurs s’ inspirent largement de la PFI.

 

1.      Les principaux types de contrats de PFI

La politique de PFI s’appuie, pour sa mise en œuvre, sur le procédé du contrat. De manière générale, le montage contractuel est le suivant : une société de projet conclut, avec une personne publique, un contrat de longue durée par lequel la première se voit confier la conception, la réalisation, et l’entretien ou l’exploitation d’un équipement, moyennant une rémunération étalée sur toute la durée du contrat.

 

Ce contrat principal s’articule avec deux autres contrats :

·        L’un qui lie la société de projet à une banque qui lui fournit, par l’intermédiaire d’un prêt, les fonds nécessaires au préfinancement de l’équipement.

·        L’autre lie la personne publique à cette même banque, afin de garantir le prêt accordé à la société de projet.

 

Ce montage peut ensuite se décliner au travers de différentes variantes, aux noms particulièrement « poétiques » : que choisir entre le BOT, le BOOT,  le BOOST ou encore le DBFO ? !

 

Deux éléments principaux permettent de distinguer cet ensemble de contrats :

·        D’une part, la question du sort des biens construits : certains contrats prévoient leur transfert à la collectivité publique, tandis que dans d’autres, ils demeurent la propriété de l’opérateur privé.

·        D’autre part, on distingue également ces contrats au regard de leur mode de rémunération : les « financially freestanding » regroupent les contrats dans lesquels l’entrepreneur est rémunéré par un prix perçu sur l’usager ; les « services sold to the public sector » sont quant à eux les contrats par lesquels la prestation de l’entrepreneur est rémunérée par l’administration.

 

A titre d’exemple, le projet  du Walsgrave Hospital repose sur un contrat de PFI conclu en 2002 entre la NHS (National Health Service, équivalent de la Sécurité sociale) et un consortium privé. Ce contrat, d’une durée de 40 ans, prévoit la construction, la maintenance et la gestion de services non cliniques d’un nouvel hôpital et d’un centre de formation et de recherche. Le NHS versera périodiquement à l’opérateur un paiement dépendant de la disponibilité des installations et de la qualité des services fournis, qui permettra à la fois le remboursement du financement et la rémunération des prestataires de services.

 

C’est précisément cette caractéristique de contrat sur performance qui constitue l’un des intérêts majeurs de la PFI.

 

2.      Les caractéristiques essentielles des contrats de PFI

Les deux avantages essentiels de la PFI résident précisément dans la mesure de la performance et dans une répartition fine des risques entre les partenaires, organisée directement et uniquement par le contrat.

 

Des indicateurs très précis sont établis, qui permettent tant une évaluation poussée des besoins de la collectivité publique qu’un contrôle effectif des résultats obtenus. Autant d’outils qui font défaut dans notre système de contractualisation, qu’il s’agisse des DSP comme des MP.

La mesure de la satisfaction des objectifs fixés conditionne directement la rémunération de l’opérateur, qui peut varier au cours du contrat.

 

            La prestation globale est divisée entre ses différents domaines, par exemple la qualité de l’exploitation, le service au client, et le renouvellement et la pérennité des équipements. Chacun  de ces domaines est lui-même subdivisé en sous-domaines, auxquels sont associés des indicateurs. Pour ce qui est du service au client, on peut citer les réponses aux demandes, mesurées en fonction du taux et des délais de réponse ainsi que de la proportion des courriers en attente.

 

            La mesure des résultats effectivement atteints entraîne des conséquences prédéfinies dans le contrat : pénalités, déduction de la rémunération ou bonus.

Cette mesure de la performance a en général pour objectif principal l’optimisation de la qualité du service rendu à l’usager. Elle permet également de s’assurer que la rémunération versée au prestataire correspond effectivement à la prestation de service convenue et incite à une gestion orientée vers les résultats.

 

            Le second pilier des projets de PFI est le transfert des risques. En droit français, la réalisation des risques liés à l’exécution du contrat, qu’il s’agisse d’un MP ou d’une DSP, trouve le plus souvent sa solution dans des facteurs extérieurs au contrat : lois, règlements ou principes généraux du droit. Citons par exemple les pouvoirs de résiliation et de modification unilatérales de l’administration, ou encore le fait de prince. Par conséquent, quel que soit le contenu du contrat, les difficultés qui peuvent en naître trouveront essentiellement leur solution hors du contrat, ce qui réduit considérablement la dynamique contractuelle et nie, dans une certaine mesure, la dimension économique du contrat.

 

            Dans les contrats de PFI au contraire, le contrat lui-même organise la maîtrise des risques. Au moment de leur élaboration, les différents types de risques sont identifiés :

·        Risques  « pré-opérationnels », qui peuvent se réaliser pendant les phases précédant l’exploitation de l’infrastructure, comme des retards dans l’achèvement des travaux par exemple.

·        Risques opérationnels, liés à la période d’exploitation, comme par exemple un brusque retournement de conjoncture ayant un impact sur la fréquentation de l’ouvrage.

 

Après avoir été identifiés, les risques sont répartis entre chaque partenaire, sachant que tout transfert de risque a un coût économique. Il s’agit d’affecter chaque type de risques au partenaire jugé le plus à même de l’assumer. Cette répartition pertinente des risques, visant à les maîtriser, est capitale quant à l’obtention des fonds nécessaires à la réalisation du projet.

 

De plus, le contrat prévoit les mécanismes à mettre en œuvre, quand ces risques ne parviennent pas à être maîtrisés. Il peut être prévu, par exemple, une substitution de cocontractants en cas de défaillance de la société de projet.

 

 

      Ainsi, les techniques de PFI ont permis de rendre attractifs les projets des collectivités publiques, en proposant aux entreprises des cadres contractuels souples, associant le partenaire privé non seulement pour sa capacité de financement, mais aussi pour son savoir-faire, le tout visant une meilleure efficacité des services rendus aux usagers.

C’est précisément dans ce sens que s’orientent les réformes en cours, qui visent à pallier les lacunes de notre droit en ouvrant la voie à des pratiques contractuelles renouvelées.

 

 

II. Le développement de formules contractuelles nouvelles

 

A.     Une démarche sectorielle

 

1.      Les domaines concernés

Après les élections législatives de 2002, le Gouvernement a tout d’abord conduit des réformes sectorielles, visant à introduire dans certaines matières seulement des formes de contrats nouvelles, proches de la formule du METP qui, après avoir été bannie, connaît désormais un renouveau certain.

 

Les secteurs concernés ont été successivement les suivants :

·        La sécurité, pour ce qui est des bâtiments affectés à la gendarmerie et à la police, avec la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002, d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI).

·        La justice, concernant les établissements pénitentiaires, avec la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, d’orientation et de programmation de la justice.

·        La défense, concernant l’immobilier en matière militaire, avec la loi n° 2003-73 du 27 janvier 2003, relative à la programmation militaire pour les années 2003-2008.

·        Enfin, la santé, pour ce qui est des établissement hospitaliers, avec le « plan Hôpital 2007 » prévu par l’ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003.

 

Dans chacun de ces secteurs, la loi introduit des dérogations plus ou moins importantes, selon les cas, aux règles posées tant par le CMP que par la loi MOP, ainsi qu’aux règles de la domanialité publique.

 

 

2.      Le dispositif LOPSI / LOPJ

Ces lois permettent pour l’essentiel la mise en œuvre de deux dispositifs contractuels dérogatoires.

 

D’une part, l’Etat est désormais autorisé à confier à une personne ou à un groupement de personnes, de droit public ou privé, une mission portant à la fois sur la conception, la construction, l’aménagement, l’entretien et la maintenance d’immeubles affectés à la gendarmerie ou à la police, ou d’établissements pénitentiaires. Le tout peut faire l’objet d’un seul contrat global.

 

Ces contrats globaux sont rendus possibles par dérogations à plusieurs dispositions, précisément celles dont il avait été question au sujet des METP :

·        L’obligation de dissocier missions de maîtrise d’œuvre et de construction, posée par la loi MOP ;

·        L’obligation d’allotir les marchés ayant à la fois pour objet la construction et l’exploitation ou la maintenance d’un ouvrage, établie par l’article 10 du CMP ;

·        Enfin, en cas de marché alloti, la nécessité d’apprécier les offres lot par lot et non globalement, inscrite également à l’article 10 du CMP.

 

Toutefois, ces lois n’introduisent pas de dérogation au principe d’interdiction de paiement différé, qui figure à l’article 94 du CMP. De plus, ces contrats, bien que dérogeant à certaines règles, n’en ont pas moins la qualité de MP.

 

D’autre part, le second montage contractuel imaginé par la LOPSI vise à renforcer la possibilité de constituer des droits réels sur le domaine public de l’Etat, pour le titulaire d’une autorisation temporaire d’occupation du domaine public (AOT), telle que prévue par la loi du 25 juillet 1994, complétant le Code du domaine de l’Etat et relative à la constitution de droits réels sur le domaine public (loi n° 94-631).

 

Concernant la construction de bâtiments pour les besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie, il sera désormais possible de conclure avec le titulaire de l’AOT soit un contrat de location avec option d’achat, soit un contrat de crédit-bail. Or, il s’agit là d’une dérogation à la loi de 1994, qui avait interdit le recours au crédit-bail lorsqu’il s’agissait de financer des ouvrages destinés à un service public, ou affectés directement à l’usage du public et pour les travaux exécutés par une personne publique dans un but d’intérêt général.

Il semblerait, bien que la loi ne les qualifie pas comme tels, que cette deuxième sorte de contrats constituent également des marchés publics, soumis pour leur passation au CMP.

 

            Les décrets d’application viendront précisément lever les doutes qui demeurent quant aux modalités précises de passation de l’ensemble de ces contrats. Ils devraient être publiés incessamment sous peu.

 

            Au-delà de cet ensemble d’assouplissements du droit des contrats publics apportés dans certains secteurs, le Gouvernement a également entamé une démarche plus poussée encore, visant la création d’une nouvelle catégorie de contrats administratifs à part entière, qui viendra s’ajouter aux deux principaux types de contrats existants que sont les DSP et les MP.

 

 

B.     Vers la création d’un nouveau type de contrat : le PPP « à la française »

 

1. Un contrat global

L’article 6 de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le gouvernement à simplifier le droit, permet au Gouvernement « de créer de nouvelles formes de contrats conclus par des personnes publiques ou des personnes privées chargées d’une mission de service public pour la conception, la réalisation, la transformation, l’exploitation et le financement d’équipements publics, ou la gestion et le financement de services, ou une combinaison de ces différentes missions ».

 

De cette habilitation découle le projet d’ordonnance sur les PPP, dont la dernière mouture date du 4 décembre dernier. La forme définitive de cette ordonnance devrait être arrêtée au printemps prochain. Des modifications considérables sont donc susceptibles d’intervenir d’ici là.

 

            Conformément au mandat donné par le législateur, l’article 1 du projet définit ces nouveaux contrats de partenariat comme des contrats globaux. Ils pourront être conclus soit par une personne publique, soit par une personne privée chargée d’une mission de service public. Ils auront pour objet de leur associer un tiers, public ou privé, soit en matière de travaux, soit en matière de services.

Concernant les travaux, la mission confiée pourra porter sur le financement, la conception, la réalisation ou la transformation et l’exploitation ou la maintenance d’équipements publics.

Pour ce qui est des prestations de services, il pourra s’agir de contrats regroupant le financement, la conception et la mise en œuvre de l’opération.

De plus, il est précisé que ces contrats, bien qu’étant des contrats administratifs, ne sont ni des DSP, ni des MP. Il s’agit bien d’une nouvelle catégorie de contrats.

 

Néanmoins, certaines restrictions ont été posées quant à leur champ d’utilisation, suite à la décision du Conseil constitutionnel, qui avait été saisi pour l’examen de la loi d’habilitation (Conseil constitutionnel, Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, relative à la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit).

En effet, le recours à ce type de contrats devra être précédé d’une évaluation du projet en termes économiques, financiers et au regard de l’intérêt pour le service. C’est cette démarche préalable qui permettra de justifier, ou pas, le choix de passer par un contrat global.

Pour cela, le projet devra impérativement répondre à des motifs d’intérêt général : soit l’urgence à rattraper un retard préjudiciable, lié à des circonstances particulières ou locales ; soit la nécessité de tenir compte de caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement ou d’un service déterminé, sous entendu des projets présentant un certain degré de complexité.

 

2.Les principales dispositions du projet d’ordonnance

A la lecture du projet, on retrouve d’emblée la filiation avec la PFI britannique. Outre son caractère global, le contrat de PPP sera de longue durée.

 

La  rémunération du cocontractant (art. 1 du projet) sera étalée sur l’ensemble de cette durée, ce qui permet à ces contrats de ne pas subir l’entrave de l’interdiction de paiement fractionné des MP. De plus, elle sera liée à des objectifs de performance qui doivent être définis par le contrat. Dans ce dernier devront figurer des clauses relatives aux incitations ou aux sanctions financières applicables selon les niveaux de qualité et de performance de l’opération (art. 11 du projet).

 

Par ailleurs, le contrat repose également sur un partage des risques, lui aussi opéré par le contrat lui-même, qui doit impérativement contenir des clauses relatives (art. 11 du projet) :

·        aux modalités de contrôle de l’exécution ;

·        aux moyens pour la personne publique d’assurer la continuité du service en cas de défaillance de l’opérateur ;

·        aux modalités de résiliation du contrat et d’indemnisation de cocontractants ;

·        enfin, aux modalités de cession et de fin du contrat, en particulier le régime de propriété de l’ouvrage.

 

Cette dernière précision ouvre la possibilité pour le partenaire privé de demeurer propriétaire des biens construits, au lieu qu’ils soient transférés dans le domaine public.

 

Concernant les modalités de passation de ces contrats, il est prévu que celle-ci soit toujours précédée d’une publicité (art. 4 du projet), par la publication d’un avis dans une publication appropriée, comportant les principales caractéristiques du projet, notamment les objectifs et les performances attendues, ainsi que les critères de sélection et d’attribution du contrat. Parmi ces critères doivent nécessairement figurer la qualité du service rendu et les modalités de répartition des risques.

 

            Deux procédures de passation sont offertes à la personne publique. Dans les deux cas, il y aurait dans un premier temps remise des candidatures, puis établissement d’un liste de candidats admis à présenter une offre.

 

La première procédure comporterait une phase de dialogue et correspond à la procédure de « dialogue compétitif » présente dans le projet de réforme des directives communautaires « Marchés ». Elle serait réservée à des projets particulièrement complexes. Après la remise des  offres par les candidats, la personne publique serait autorisée à négocier séparément avec chacun d’entre eux. Elle éliminerait progressivement certains candidats, jusqu’à identifier celui ou ceux qui répondent le mieux à ses besoins. Après la clôture du dialogue, l’opérateur ou le groupement d’opérateurs seraient invités à remettre leur offre finale.

La seconde procédure envisagée exclut la phase de dialogue et s’assimilerait à un appel d’offres restreint.

Pour finir, soulignons que dans le cadre de l’élaboration de cette ordonnance, huit projets pilotes ont d’ores et déjà été étudiés par la Caisse des dépôts et consignations, avec le concours de cabinets d’avocats et de banques conseils. Ces projets portent sur de l’immobilier public (hôpital, musée, université), des infrastructures de transport (ligne TGV, ligne de tramway, autoroute urbaine notamment), et sur des équipements d’environnement (incinérateur d’ordures ménagères).

 

 

 

 

 

Conclusion

Le partenariat public privé devient donc aujourd’hui dans notre droit une nouvelle catégorie de contrats publics. Pourtant, le PPP n’est pas envisagé, par les spécialistes de la question, comme une discipline juridique mais comme un sujet pratique, celui de la réalisation de projets, au confluent d’enjeux économiques, politiques, financiers et juridiques.

 

Il n’en demeure pas moins que la dimension juridique des contrats de PPP est en train de revêtir en France un visage nouveau. Il sera sans doute particulièrement intéressant, pour les juristes que nous sommes, d’observer à moyen terme ce que seront précisément ces nouveaux contrats, dans leur forme définitive.

 

Mais ce n’est qu’à plus long terme, au travers notamment du travail des juges national comme communautaire, que nous pourrons prendre la pleine mesure de ces nouveaux contrats de PPP, notamment pour ce qui est de leur articulation avec un droit communautaire qui, pour sa part, ne les a pas érigés en catégorie de contrats à part entière.

 



[1] Voir bibliographie.