Séminaire Marchés publics
M. Blanchard
Par Isabelle Leca
A la fin des années 1980, le constat dressé en Grande-Bretagne en matière de services publics est alarmant. Qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou encore des transports, les équipements sont vétustes et la qualité des services médiocre. Il apparaît alors urgent de remédier à cet état de fait. Néanmoins, deux difficultés apparaissent : d’une part, l’argent public manque pour faire face à des investissements massifs ; d’autre part, de sérieux doutes pèsent sur l’aptitude de l’administration à gérer efficacement ces services.
La solution
élaborée alors par les pouvoirs publics britanniques pour surmonter ces défis
fut la PFI.
1. Qu’est-ce
que la PFI ?
Ø
Un programme de gouvernement dont
l’outil est le contrat
Il est pour
commencer important de souligner que la terminologie de PFI recouvre un
double objet :
·
Il s’agit tout d’abord de la politique menée par le gouvernement
britannique visant à encourager la réalisation de travaux et la gestion des
services dont ils sont le support à l’aide d’un financement ou d’un
préfinancement privé. Ce programme a été lancé
en 1992, à l’occasion du discours du budget du Chancelier de l’Echiquier de
l’époque Norman Lamont. Inaugurée par un gouvernement
conservateur, la formule a été maintenue après l’arrivée au pouvoir des
travaillistes et simplement rebaptisée sous le nom de Public Private Partnership.
Ce
programme a un triple objectif :
-
augmenter la capacité de financement du secteur public en étalant
les paiements liés à un investissement sur une longue période ;
-
améliorer la qualité des services publics, en
imposant au secteur privé des critères de qualité dont le respect conditionnera
le montant des paiements ;
-
diminuer la dépense publique en profitant de la
compétence et de la capacité d’innovation du secteur privé ainsi que des
économies réalisées par l’adéquation des infrastructures au service rendu.
Il s’agit bien non seulement de bénéficier d’investissements privés mais aussi du savoir-faire des entreprises qui fait défaut à l’administration.
·
L’outil utilisé pour mettre en
œuvre cette politique est le contrat.
On appelle contrat de PFI un contrat entrant dans le cadre de ce programme
gouvernemental, sans pour autant qu’il s’agisse d’une catégorie spécifique de
contrats. Il existe au contraire autant de contrats de PFI que de projets de
PFI, chacun étant taillé à la mesure du projet qu’il vise à mettre en œuvre.
Néanmoins, on peut dégager un montage contractuel de base à partir duquel se
déclinent toutes les variantes.
Ø
Le montage contractuel de
base : un accord tripartite
Le montage
contractuel de base est un accord tripartite : un contrat de PFI
principal, un contrat de financement et un accord direct (voir schéma).
·
Le contrat principal lie l’administration à un consortium
d’entreprises auquel sont confiées la construction
d’un équipement et son exploitation. Le consortium constitue une société de projet créée ad hoc, à
laquelle peut participer le financier de l’opération qui est généralement un
établissement bancaire. Cette société de projet ne réalise pas directement
l’objet du contrat ; elle sert seulement de support et confie l’exécution
même du contrat aux entreprises membres ;
·
Le contrat de financement lie la société de projet au financier qui
fournit les fonds nécessaires au préfinancement de l’équipement ;
·
L’accord direct lie l’administration au financier.
Ces deux derniers contrats incluent des accords entre le financier d’une part,
la société de projet et les entreprises membres d’autres part, afin de garantir
l’investissement.
Ce
mécanisme fait des montages PFI des exemples typiques de financement de projet (project finance),
dans lesquels une société de crédit finance une activité en se remboursant
uniquement sur les flux financiers (cash-flows) que cette dernière génère.
Ø
Typologies des contrats de PFI
A partir de cette structure générale, les contrats de PFI peuvent être envisagés de deux points de vue.
·
D’un point de vue financier, on distingue
les contrats de PFI selon leur mode de
rémunération en deux catégories :
-
Les « financially freestanding » sont les contrats
par lesquels l’entrepreneur est rémunéré par un prix payé par l’usager ;
-
Les « services sold to the
public sector » sont les contrats par
lesquels l’entrepreneur est rémunéré par l’administration. L’essentiel des
contrats de PFI fonctionnent sur ce mode.
·
Du point de vue du sort des biens faisant l’objet du
contrat, on distingue à nouveau deux cas de figure :
-
Soit les biens sont destinés à
devenir la propriété de l’administration
en fin de contrat ;
-
Soit ces biens restent propriété de l’exploitant.
Une fois
ces catégories identifiées, on peut distinguer six grands types de contrats (voir doc) en
fonction de leur objet plus ou moins
vaste, qui incluent au choix les missions suivantes :
la conception (Design), la construction (Build), l’exploitation (Operate). La dénomination des contrats reflète clairement les missions qu’ils recouvrent.
Ils
constituent des déclinaisons du contrat de BOT
ou Build Operate Transfer : il s’agit pour le titulaire du contrat de
construire un ouvrage, de l’exploiter et, à l’issue d’une période
prédéterminée, de le rétrocéder à la collectivité publique.
Après avoir
présenté la PFI comme politique gouvernementale et en tant que technique
contractuelle, nous allons envisager le cadre juridique dans lequel se
développe la PFI.
2. Dans quel cadre juridico-institutionnel se développe la PFI ?
Ø
Les acteurs de la PFI
·
d’autre part, « the Office of Government
Commerce », rattaché au Trésor, assure une mission de conception de la
politique de PFI.
Il est
particulièrement important d’identifier ces organismes car ce sont eux qui sont
à l’origine de l’essentiel des règles s’appliquant en matière de PFI.
Ø
L’encadrement juridique souple
En effet,
la plupart des règles concernant la PFI se trouvent dans des nombreux guides élaborés par ces organismes. Ces
guides permettent de préconiser les meilleures
pratiques (best practice), particulièrement en matière de passation et
d’élaboration des contrats. Pour en citer un exemple : « Guidance n°
51 : Introduction to the EC procurement
rules ».
Pour ce qui
est de l’encadrement législatif, il n’est pas intervenu pour définir et
encadrer le régime des contrats de PFI, comme cela est en train de se préparer
en France pour les contrats de partenariat public privé par exemple. Les lois
ne sont intervenues qu’après le lancement de la politique de PFI afin de
garantir une meilleure sécurité
juridique : apparaît là une démarche particulièrement pragmatique.
La première
loi – sur la déréglementation et la
délégation de 1994 – a permis de
mieux déterminer le champ des
activités pouvant être déléguées : tout sauf certaines activités
régaliennes (justice).
La seconde
loi – sur les contrats du gouvernement
local de 1997 – a permis de clarifier les compétences des collectivités locales en matière de contractualisation de leurs missions et
de garanties d’emprunts accordées
dans les montages PFI.
·
La loi sur la déréglementation et la délégation de 1994 qui ouvre la
voie à la contractualisation de toutes
les activités publiques, exceptées certaines fonctions régaliennes comme la
justice par exemple. Jusqu’à ce que cette loi intervienne, seules des lois
sectorielles étaient venues autoriser la délégation en matière d’hôpitaux, de
prisons et de routes. La démarche est ici inversée : ce n’est plus telle
ou telle activité peut être déléguée mais plutôt tout peut l’être, sauf
quelques exceptions.
·
La loi sur les contrats du gouvernement local de 1997 visait quant à
elle à rassurer les milieux financiers suite à une jurisprudence de la Chambre
des Lords (Crédit Suisse V. Allerdale Borough Council, 1996)
qui avait rendu illégales la plupart des garanties d’emprunts accordées par les
autorités locales. Cette loi confère aux autorités locales une compétence générale pour contracter
afin d’accomplir toutes leurs missions
statutaires. Elle leur donne également une compétence expresse en ce qui
concerne leurs relations avec les
sociétés de financement, mais uniquement quand ces relations s’inscrivent
dans des accords tripartites dans lesquels l’administration n’est directement
bénéficiaire du prêt. Cela vise à éviter que les collectivités locales ne
cherchent à conclure avec les établissements financiers des accords purement
spéculatifs.
3. Comment fonctionnent les
contrats de PFI ?
Ø
Best Value for Money et répartition
des risques
L’élaboration
des contrats de PFI repose sur la recherche de la Best Value for Money,
c’est-à-dire le meilleur rapport qualité-prix. C’est le transfert optimal des risques qui garantit cette Best Value. L’idée
est d’identifier chaque type de risque et de le transférer à la partie la mieux
adaptée pour l’assumer.
Ces risques
peuvent être par exemple l’augmentation des délais de réalisation ou la
survenance d’une législation imposant des règles de sécurité plus strictes.
De plus, le
contrat doit également prévoir les mécanismes à mettre en œuvre quand ces
risques ne parviennent pas à être maîtrisés. Il existe par exemple des clauses
de substitution de cocontractants en cas de défaillance de la société de
projet, dites « clauses de step-in ».
Cette
répartition des risques est d’autant plus nécessaire que les contrats de PFI
sont des contrats de common
law. La distinction entre contrats de droit public et contrats de droit
privé n’existe pas en droit britannique, de sorte que s’appliquent aux contrats
de l’administration les règles applicables à tout autre contrat. En
particulier, ils sont régis par la liberté
de contracter et l’inviolabilité du
contrat. Le principe de mutabilité des contrats administratifs qui nous est
familier est totalement exclu. Par conséquent, tout doit figurer dans le
contrat, y compris les prévisions de l’évolution technique et les contraintes
d’intérêt général.
Ø
Rémunération et mesure de la
performance
L’autre élément primordial dans le fonctionnement des contrats de PFI, c’est la rémunération subordonnée à une mesure de la performance, assise soit sur le niveau d’utilisation du service, soit sur la qualité du service rendu.
Des indicateurs très précis sont établis,
qui permettent à la fois une évaluation poussée des besoins de la collectivité
publique, en amont, et un contrôle effectif des résultats obtenus en aval.
La mesure
des résultats effectivement atteints entraîne des conséquences prédéfinies dans
le contrat – pénalités ou bonus – et conditionne directement la rémunération de
l’opérateur, qui peut varier au cours du contrat.
Pour
évaluer par exemple le service au client,
on va utiliser un indicateur tel que le taux de réponses aux demandes, mesuré
en fonction du nombre et des délais de réponses aux courriers adressés par les
clients.
Sont
également utilisés des critères relatifs à la disponibilité des équipements. Un bâtiment est divisé en unités
fonctionnelles, telles des salles de classe dans un établissement scolaire par
exemple. Si certaines salles ne sont pas éclairées, leur surface est retranchée
au total des paiements.
Le cumul
des sanctions peut représenter une diminution des paiements importante, qui
peut aller jusqu’à 20% de la rémunération initialement prévue lorsqu’elle
celle-ci est versée par l’administration.
Ø
Régime de passation : marché
public de services ou de travaux ?
Les
contrats de PFI mobilisent généralement des sommes considérables qui souvent
dépassent les seuils communautaires, posant ainsi la question de l’application
des procédures prévues aux directives marchés à ces
contrats.
Comme je
l’ai indiqué auparavant, la très grande majorité des contrats de PFI entrent
dans la catégorie des « services sold to the public sector »,
c’est-à-dire que l’administration paie un prix en échange de prestations, ce
qui correspond bien à un marché public. Marché public certes, mais de quel
type ?
Le problème
a été de savoir si on qualifiait les contrats de PFI de MP de travaux ou de MP de
services, question importante puisque les directives donc les procédures
applicables ne sont pas les mêmes dans les deux cas.
Au regard
de la jurisprudence communautaire relative aux contrats mixtes (CJCE, 19.04.1994, « Gestion Hotelera Internacional »),
la balance pencherait plutôt du côté du MP
de travaux. En effet la Cour retient une approche quantitative : un contrat mêlant services et travaux
et un MP de travaux si le montant de ces derniers est le plus élevé, et
inversement. Etant donnée l’importance des équipements construits, le montant
des travaux est généralement plus élevé que celui des prestations de services
dans les contrats de PFI.
Pourtant, la « Treasury Taskforce » n’a pas adopté cette analyse et envisage les contrats de PFI comme des marchés publics de services. Elle a pour sa part une approche qualitative pour apprécier la nature de ces contrats mixtes. Ce qui compte, ce n’est pas le montant mais l’objet principal du contrat. Or, dans la conception britannique, les contrats de PFI sont avant tout conclus pour acheter des services fournis tout au long de la durée du contrat. Les infrastructures ne sont que le support de ces services. Par conséquent, c’est la directive 92/50 du 18 juin 1992 relative aux services qui est appliquée.
De plus, la
Treasury Taskforce a
recommandé l’utilisation de l’article 11 de cette directive, c’est-à-dire la procédure négociée avec publicité
préalable qui peut être notamment utilisée « dans
des cas exceptionnels, lorsqu’il s’agit de services dont la nature ou les aléas
ne permettent pas une fixation préalable et globale des prix ». La Treasury Taskforce a estimé que ces
contrats, du fait de leur complexité, présentaient bien un caractère
exceptionnel qui nécessitait le recours à la négociation.
4. Un exemple de PFI : le
projet de la Colfox School
Pour vous
donner tout d’abord une idée de l’ampleur de la PFI, 2 chiffres : en 2001,
450 contrats de PFI avaient été signés pour un montant total de 20 Md £. (voir tableau)
Une bonne illustration de la PFI est fournie par le projet de la Colfox School, dans le Dorset.
Le Comté du
Dorset a signé, en 1998, un contrat d’une durée
de 30 ans pour le financement, la
conception, la construction et la gestion d’une école d’enseignement secondaire.
Une société
de projet conçoit et réalise les bâtiments, puis gère tous les aspects de la vie administrative et scolaire, à
l’exception de la gestion du cursus et de l’enseignement. Ceci couvre un très
large panel de services tels que les repas, le chauffage, l’entretien des
terrains de sport ou encore le secrétariat. Puisqu’il s’agit de l’achat de cet
ensemble de services, le cocontractant ne reçoit un paiement du Comté qu’à
partir du jour d’ouverture des bâtiments au public, et non à compter du début
de la construction de l’établissement.
Ces paiements sont calculés en fonction
d’indicateurs précis de qualité et d’unités de services disponibles :
repas pouvant être servis, mètres carrés de classe disponibles. Certains
événements prédéterminés entraînent l’indisponibilité totale des locaux
touchés : température trop basse ou trop élevée, absence d’éclairage par
exemple, tout cela déclenchant des pénalités diminuant la rémunération.
On retrouve
donc dans cet exemple les mécanismes de mesure de la performance, de
répartition des risques ainsi que cette conception d’achat de services qui
caractérisent les contrats de PFI britanniques.