12.02.2004                                                                                                                                                 

Séminaire Marchés publics                                                                                                                   

M. Blanchard

Par Isabelle Leca

 

 

 

La Private Finance Initiative

 

 

 

Introduction

 

A la fin des années 1980, le constat dressé en Grande-Bretagne en matière de services publics est alarmant. Qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou encore des transports, les équipements sont vétustes et la qualité des services médiocre. Il apparaît alors urgent de remédier à cet état de fait. Néanmoins, deux difficultés apparaissent : d’une part, l’argent public manque pour faire face à des investissements massifs ; d’autre part, de sérieux doutes pèsent sur l’aptitude de l’administration à gérer efficacement ces services.

La solution élaborée alors par les pouvoirs publics britanniques pour surmonter ces défis fut la PFI.

 

 

1. Qu’est-ce que la PFI ?

 

Ø      Un programme de gouvernement dont l’outil est le contrat

Il est pour commencer important de souligner que la terminologie de PFI recouvre un double objet :

·        Il s’agit tout d’abord de la politique menée par le gouvernement britannique visant à encourager la réalisation de travaux et la gestion des services dont ils sont le support à l’aide d’un financement ou d’un préfinancement privé. Ce programme a été lancé en 1992, à l’occasion du discours du budget du Chancelier de l’Echiquier de l’époque Norman Lamont. Inaugurée par un gouvernement conservateur, la formule a été maintenue après l’arrivée au pouvoir des travaillistes et simplement rebaptisée sous le nom de Public Private Partnership.

Ce programme a un triple objectif :

-         augmenter la capacité de financement du secteur public en étalant les paiements liés à un investissement sur une longue période ;

-         améliorer la qualité des services publics, en imposant au secteur privé des critères de qualité dont le respect conditionnera le montant des paiements ;

-         diminuer la dépense publique en profitant de la compétence et de la capacité d’innovation du secteur privé ainsi que des économies réalisées par l’adéquation des infrastructures au service rendu.

 

Il s’agit bien non seulement de bénéficier d’investissements privés mais aussi du savoir-faire des entreprises qui fait défaut à l’administration.

 

·        L’outil utilisé pour mettre en œuvre cette politique est le contrat. On appelle contrat de PFI un contrat entrant dans le cadre de ce programme gouvernemental, sans pour autant qu’il s’agisse d’une catégorie spécifique de contrats. Il existe au contraire autant de contrats de PFI que de projets de PFI, chacun étant taillé à la mesure du projet qu’il vise à mettre en œuvre. Néanmoins, on peut dégager un montage contractuel de base à partir duquel se déclinent toutes les variantes.

 

Ø      Le montage contractuel de base : un accord tripartite

Le montage contractuel de base est un accord tripartite : un contrat de PFI principal, un contrat de financement et un accord direct (voir schéma).

·        Le contrat principal lie l’administration à un consortium d’entreprises auquel sont confiées la construction d’un équipement et son exploitation. Le consortium constitue une société de projet créée ad hoc, à laquelle peut participer le financier de l’opération qui est généralement un établissement bancaire. Cette société de projet ne réalise pas directement l’objet du contrat ; elle sert seulement de support et confie l’exécution même du contrat aux entreprises membres ;

·        Le contrat de financement lie la société de projet au financier qui fournit les fonds nécessaires au préfinancement de l’équipement ;

·        L’accord direct lie l’administration au financier. Ces deux derniers contrats incluent des accords entre le financier d’une part, la société de projet et les entreprises membres d’autres part, afin de garantir l’investissement.

 

Ce mécanisme fait des montages PFI des exemples typiques de financement de projet (project finance), dans lesquels une société de crédit finance une activité en se remboursant uniquement sur les flux financiers (cash-flows) que cette dernière génère.

 

Ø      Typologies des contrats de PFI

A partir de cette structure générale, les contrats de PFI peuvent être envisagés de deux points de vue.

·        D’un point de vue financier, on distingue les contrats de PFI selon leur mode de rémunération en deux catégories :

-         Les « financially freestanding » sont les contrats par lesquels l’entrepreneur est rémunéré par un prix payé par l’usager ;

-         Les « services sold to the public sector » sont les contrats par lesquels l’entrepreneur est rémunéré par l’administration. L’essentiel des contrats de PFI fonctionnent sur ce mode.

 

·        Du point de vue du sort des biens faisant l’objet du contrat, on distingue à nouveau deux cas de figure :

-         Soit les biens sont destinés à devenir la propriété de l’administration en fin de contrat ;

-         Soit ces biens restent propriété de l’exploitant.

 

Une fois ces catégories identifiées, on peut distinguer six grands types de contrats (voir doc) en fonction de leur objet plus ou moins vaste, qui incluent au choix les missions suivantes :

la conception (Design), la construction (Build), l’exploitation (Operate). La dénomination des contrats reflète clairement les missions qu’ils recouvrent.

 

Ils constituent des déclinaisons du contrat de BOT ou Build Operate Transfer : il s’agit pour le titulaire du contrat de construire un ouvrage, de l’exploiter et, à l’issue d’une période prédéterminée, de le rétrocéder à la collectivité publique.

 

Après avoir présenté la PFI comme politique gouvernementale et en tant que technique contractuelle, nous allons envisager le cadre juridique dans lequel se développe la PFI.

 

 

2. Dans quel cadre juridico-institutionnel se développe la PFI ?

 

Ø      Les acteurs de la PFI

Afin de promouvoir activement au sein de l’administration la PFI, un groupe de travail a été constitué au sein du Trésor britannique en 1997 : le « Treasury Taskforce ». Il a été remplacé en 1999 par deux autres organes :

·        d’une part, « Partnerships UK », qui réalise une mission opérationnelle de conseil et d’accompagnement de projets. Cette structure comprend à la fois des représentants du secteur public et du secteur privé. Elle repose elle-même, depuis 2001, sur un montage de partenariat public privé au sein duquel le secteur privé participe à hauteur de 51%, contre 49% pour l’administration.

·        d’autre part, « the Office of Government Commerce », rattaché au Trésor, assure une mission de conception de la politique de PFI.

 

Il est particulièrement important d’identifier ces organismes car ce sont eux qui sont à l’origine de l’essentiel des règles s’appliquant en matière de PFI.

 

 

Ø      L’encadrement juridique souple

En effet, la plupart des règles concernant la PFI se trouvent dans des nombreux guides élaborés par ces organismes. Ces guides permettent de préconiser les meilleures pratiques (best practice), particulièrement en matière de passation et d’élaboration des contrats. Pour en citer un exemple : « Guidance n° 51 : Introduction to the EC procurement rules ».

 

Pour ce qui est de l’encadrement législatif, il n’est pas intervenu pour définir et encadrer le régime des contrats de PFI, comme cela est en train de se préparer en France pour les contrats de partenariat public privé par exemple. Les lois ne sont intervenues qu’après le lancement de la politique de PFI afin de garantir une meilleure sécurité juridique : apparaît là une démarche particulièrement pragmatique.

 

La première loi – sur la déréglementation et la délégation de 1994 – a permis de  mieux déterminer le champ des activités pouvant être déléguées : tout sauf certaines activités régaliennes (justice).

La seconde loi – sur les contrats du gouvernement local de 1997 – a permis de clarifier les compétences des collectivités locales en matière de contractualisation de leurs missions et de garanties d’emprunts accordées dans les montages PFI.

 

·        La loi sur la déréglementation et la délégation de 1994 qui ouvre la voie à la contractualisation de toutes les activités publiques, exceptées certaines fonctions régaliennes comme la justice par exemple. Jusqu’à ce que cette loi intervienne, seules des lois sectorielles étaient venues autoriser la délégation en matière d’hôpitaux, de prisons et de routes. La démarche est ici inversée : ce n’est plus telle ou telle activité peut être déléguée mais plutôt tout peut l’être, sauf quelques exceptions.

·        La loi sur les contrats du gouvernement local de 1997 visait quant à elle à rassurer les milieux financiers suite à une jurisprudence de la Chambre des Lords (Crédit Suisse V. Allerdale Borough Council, 1996) qui avait rendu illégales la plupart des garanties d’emprunts accordées par les autorités locales. Cette loi confère aux autorités locales une compétence générale pour contracter afin d’accomplir toutes leurs missions statutaires. Elle leur donne également une compétence expresse en ce qui concerne leurs relations avec les sociétés de financement, mais uniquement quand ces relations s’inscrivent dans des accords tripartites dans lesquels l’administration n’est directement bénéficiaire du prêt. Cela vise à éviter que les collectivités locales ne cherchent à conclure avec les établissements financiers des accords purement spéculatifs.

 

 

3. Comment fonctionnent les contrats de PFI ?

 

Ø      Best Value for Money et répartition des risques

L’élaboration des contrats de PFI repose sur la recherche de la Best Value for Money, c’est-à-dire le meilleur rapport qualité-prix. C’est le transfert optimal des risques qui garantit cette Best Value. L’idée est d’identifier chaque type de risque et de le transférer à la partie la mieux adaptée pour l’assumer.

Ces risques peuvent être par exemple l’augmentation des délais de réalisation ou la survenance d’une législation imposant des règles de sécurité plus strictes.

 

De plus, le contrat doit également prévoir les mécanismes à mettre en œuvre quand ces risques ne parviennent pas à être maîtrisés. Il existe par exemple des clauses de substitution de cocontractants en cas de défaillance de la société de projet, dites « clauses de step-in ».

 

Cette répartition des risques est d’autant plus nécessaire que les contrats de PFI sont des contrats de common law. La distinction entre contrats de droit public et contrats de droit privé n’existe pas en droit britannique, de sorte que s’appliquent aux contrats de l’administration les règles applicables à tout autre contrat. En particulier, ils sont régis par la liberté de contracter et l’inviolabilité du contrat. Le principe de mutabilité des contrats administratifs qui nous est familier est totalement exclu. Par conséquent, tout doit figurer dans le contrat, y compris les prévisions de l’évolution technique et les contraintes d’intérêt général.

 

Ø      Rémunération et mesure de la performance

L’autre élément primordial dans le fonctionnement des contrats de PFI, c’est la rémunération subordonnée à une mesure de la performance, assise soit sur le niveau d’utilisation du service, soit sur la qualité du service rendu.

 

Des indicateurs très précis sont établis, qui permettent à la fois une évaluation poussée des besoins de la collectivité publique, en amont, et un contrôle effectif des résultats obtenus en aval.

La mesure des résultats effectivement atteints entraîne des conséquences prédéfinies dans le contrat – pénalités ou bonus – et conditionne directement la rémunération de l’opérateur, qui peut varier au cours du contrat.

 

Pour évaluer par exemple le service au client, on va utiliser un indicateur tel que le taux de réponses aux demandes, mesuré en fonction du nombre et des délais de réponses aux courriers adressés par les clients.

 

Sont également utilisés des critères relatifs à la disponibilité des équipements. Un bâtiment est divisé en unités fonctionnelles, telles des salles de classe dans un établissement scolaire par exemple. Si certaines salles ne sont pas éclairées, leur surface est retranchée au total des paiements.

 

Le cumul des sanctions peut représenter une diminution des paiements importante, qui peut aller jusqu’à 20% de la rémunération initialement prévue lorsqu’elle celle-ci est versée par l’administration.

 

Ø      Régime de passation : marché public de services ou de travaux ?

Les contrats de PFI mobilisent généralement des sommes considérables qui souvent dépassent les seuils communautaires, posant ainsi la question de l’application des procédures prévues aux directives marchés à ces contrats.

 

Comme je l’ai indiqué auparavant, la très grande majorité des contrats de PFI entrent dans la catégorie des « services sold to the public sector », c’est-à-dire que l’administration paie un prix en échange de prestations, ce qui correspond bien à un marché public. Marché public certes, mais de quel type ?

 

Le problème a été de savoir si on qualifiait les contrats de PFI de MP de travaux ou de MP de services, question importante puisque les directives donc les procédures applicables ne sont pas les mêmes dans les deux cas.

 

Au regard de la jurisprudence communautaire relative aux contrats mixtes (CJCE, 19.04.1994, « Gestion Hotelera Internacional »), la balance pencherait plutôt du côté du MP de travaux. En effet la Cour retient une approche quantitative : un contrat mêlant services et travaux et un MP de travaux si le montant de ces derniers est le plus élevé, et inversement. Etant donnée l’importance des équipements construits, le montant des travaux est généralement plus élevé que celui des prestations de services dans les contrats de PFI.

 

Pourtant, la « Treasury Taskforce » n’a pas adopté cette analyse et envisage les contrats de PFI comme des marchés publics de services. Elle a pour sa part une approche qualitative pour apprécier la nature de ces contrats mixtes. Ce qui compte, ce n’est pas le montant mais l’objet principal du contrat. Or, dans la conception britannique, les contrats de PFI sont avant tout conclus pour acheter des services fournis tout au long de la durée du contrat. Les infrastructures ne sont que le support de ces services. Par conséquent, c’est la directive 92/50 du 18 juin 1992 relative aux services qui est appliquée.

 

 

De plus, la Treasury Taskforce a recommandé l’utilisation de l’article 11 de cette directive, c’est-à-dire la procédure négociée avec publicité préalable qui peut être notamment utilisée « dans des cas exceptionnels, lorsqu’il s’agit de services dont la nature ou les aléas ne permettent pas une fixation préalable et globale des prix ». La Treasury Taskforce a estimé que ces contrats, du fait de leur complexité, présentaient bien un caractère exceptionnel qui nécessitait le recours à la négociation.

 

4. Un exemple de PFI : le projet de la Colfox School

 

Pour vous donner tout d’abord une idée de l’ampleur de la PFI, 2 chiffres : en 2001, 450 contrats de PFI avaient été signés pour un montant total de 20 Md £. (voir tableau)

 

Une bonne illustration de la PFI est fournie par le projet de la Colfox School, dans le Dorset.

Le Comté du Dorset a signé, en 1998, un contrat d’une durée de 30 ans pour le financement, la conception, la construction et la gestion d’une école d’enseignement secondaire.

 

Une société de projet conçoit et réalise les bâtiments, puis gère tous les aspects de la vie administrative et scolaire, à l’exception de la gestion du cursus et de l’enseignement. Ceci couvre un très large panel de services tels que les repas, le chauffage, l’entretien des terrains de sport ou encore le secrétariat. Puisqu’il s’agit de l’achat de cet ensemble de services, le cocontractant ne reçoit un paiement du Comté qu’à partir du jour d’ouverture des bâtiments au public, et non à compter du début de la construction de  l’établissement.

 

Ces paiements sont calculés en fonction d’indicateurs précis de qualité et d’unités de services disponibles : repas pouvant être servis, mètres carrés de classe disponibles. Certains événements prédéterminés entraînent l’indisponibilité totale des locaux touchés : température trop basse ou trop élevée, absence d’éclairage par exemple, tout cela déclenchant des pénalités diminuant la rémunération.

 

On retrouve donc dans cet exemple les mécanismes de mesure de la performance, de répartition des risques ainsi que cette conception d’achat de services qui caractérisent les contrats de PFI britanniques.